Du haut de sa chaire, l’abbé Rey-Coltier me regardait de travers. Il savait que nous étions arrivés en retard à la messe. Pour que nous soyons assis ainsi au fond de la Collégiale, c’est que nous avions quelque chose à nous reprocher.
Oh ! Nous n’étions jamais assis aux premières loges, déjà fort éloignées de l’autel. Mais au moins faisions-nous en sorte de nous asseoir dans le premiers tiers des rangs, de préférence avec agenouilloirs… Là, ce n’était clairement pas le cas.
Une fois de plus, nous le devions à Apolline qui s’employait à se maquiller durant d’interminables minutes volées sur notre certes minime temps de trajet pour rallier St-Just. Chaque dimanche, cela me valait de prendre le volant de mauvaise humeur, ce qui sied mal à un catholique allant rendre son culte au Bon Dieu. Dans la voiture, Apolline mettait une dernière main à sa tenue dominicale, ajustant les boucles de ses chaussures, et vérifiant une dernière fois sa coiffure dans le miroir du pare-soleil du siège-passager, pare-soleil qui resterait ainsi en l’état, jusqu’au dimanche suivant…
Après avoir lu les annonces de la semaine, l’abbé Rey-Coltier nous fit un sermon classique sur les textes du jour. Pour un prêtre, le jeudi de l’Ascension n’exige pas de compétence particulière. Comme je le lui disais la veille, il aurait pu se contenter de peu, comme après la lecture de la Passion du Christ le dimanche des Rameaux ou au soir du Vendredi Saint : « Mes frères, le servant de messe vient d’éteindre le Cierge pascal dans le prolongement de l’Evangile de ce jour. L’image se suffit à elle-même. »
C’était sans compter qu’il fallait penser à ceux qui n’avaient même pas remarqué l’action, ceux qui n’avaient pas de missel, ceux qui n’avaient pas compris le symbole, et ceux qui ignoraient jusqu’au fait que dix jours plus tard viendrait la Pentecôte.
Pas simple, non, vraiment pas si simple, la vie de Curé, même (et surtout ?) dans une communauté de catholiques tradis. Il fallait apprendre à jouer avec toutes ses composantes aussi diverses que variées, malgré tous les clichés ci-et-là véhiculés.
Alors, Monsieur le Curé délivra quelques messages pour nous inviter à ne pas regarder infiniment le Ciel mais à scruter nos coeurs engourdis pour mieux élever notre âme vers Dieu.
Tout cela était bel et bon, mais ne m’empêchait pas de penser au déjeuner de midi qu’il nous faudrait préparer à notre retour. La vie nous avait appris à composer avec les goûts de chacun de nos enfants, dont il eut été trop simple qu’ils soient les mêmes. Sans doute avions-nous une part de responsabilité dans cette liberté que nous leur avons accordée de faire la moue en voyant arriver un gratin de chou-fleur ou un rôti de boeuf bien saignant ? C’est bien possible. C’est même certain. Mais, s’il est vrai qu’il ne faut pas vivre pour manger, alors combien est-il plus vrai qu’il ne faille pas se forcer à manger pour vivre… Enfin, je me comprends.
_ Credo in unum Deeeeeum… »
Ah ben flûte ! Je m’aperçois que j’ai complètement occulté la fin du sermon de l’abbé. Ce n’est pas souvent, mais j’ai depuis peu l’esprit occupé. Mes pensées sont ailleurs. A l’approche de la cinquantaine, quelque chose en moi m’invite à un changement. Non pas une révolution. Non pas un renoncement. Mais une aspiration à d’autres horizons. Il ne s’agit pas de fuir ma vie, mais de lui donner un autre sens. Peut-être de faire enfin ce dont j’ai envie depuis tant de temps. M’atteler enfin, oui, à cette tache que je fuis inconsciemment depuis des décennies.
Ecrire.
La fin de ma messe ne sera qu’invocations à l’Esprit-Saint afin qu’Il me guide et m’inspire pour que ce qui me semblait évidence devienne réalité. Dans mon missel, sous mes yeux défilaient les lignes de cette prière du cardinal Verdier, si souvent relue depuis des années : «O Esprit-Saint, Amour du Père et du Fils, inspirez-moi toujours ce que je dois penser, ce que je dois dire,comment je dois le dire, ce que je dois taire, ce que je dois écrire, comment je dois agir, ce que je dois faire pour procurer Votre Gloire, le bien des âmes, et ma propre Sanctification. Ainsi soit-il ! »
Un mouvement était en train de s’opérer en moi. J’étais désormais le seul à pouvoir l’interrompre.