15 mai 2008
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« Deux jours à tuer »
Le désespoir moderne devant la mort
C’est le titre du nouveau film de Jean Becker : Deux jours à tuer(...) Le film pose avec une saisissante maîtrise ce que l’on appelle imparfaitement un « problème de société ».
A la suite d’un quiproquo où il n’est pour rien, le principal personnage, Antoine Méliot, joué par Albert Dupontel, laisse croire à sa femme, et fait croire au spectateur, qu’il a une liaison extra-conjugale. Le spectateur ne saura la vérité qu‘à la fin du film, et sa femme seulement après sa mort. Quand on connaît la clef de l’histoire, il convient de la revivre depuis le début en connaissance de cause, par exemple en voyant le film une seconde fois.
On aperçoit alors qu’il s’agit d’un brutal mais caché face à face avec la mort. Un face à face désarmé. La mort fait peur et horreur à la nature créée, elle est source d’une profonde tristesse, on le voit déjà dans le règne animal. Il s’y ajoute chez l’homme la douloureuse pensée du déchirement que la séparation va causer aux êtres chers qui survivent, sentiment qu’Albert Dupontel joue admirablement. Notre Seigneur lui-même a pleuré devant le tombeau de Lazare, qu’il allait pourtant ressusciter ; et Marthe n’est pas consolée de « savoir qu’il ressuscitera au dernier jour » (Jn 11, 24). Par quoi l’on voit que la plus ferme espérance surnaturelle n’allège pas la tristesse. Mais elle suscite une confiance qui arme l’esprit contre le désespoir.
Le personnage mis en scène par Jean Becker est absolument désarmé devant la perspective qu’avec la mort tout va disparaître. Rien n’a plus de sens si la vie n’a pas d’autre aboutissement que la séparation déchirante et le néant. On sent le poids écrasant d’une énorme absence. Cet Antoine Méliot vit et pense à l’unisson d’une société qui n’est même pas athée, elle n’a aucune idée pour ou contre le surnaturel, elle l’ignore. On est en deçà de cette inquiétude qui fut de tout temps une esquisse d’espérance, toutes les sociétés l’ont eue avant la société moderne : le vague souhait d’une immortalité de l‘âme, la croyance qu’il existe peut-être, au-delà du monde visible, une Bienveillance mystérieuse ou bien une Sévérité qui juge ; un « dieu inconnu » comme celui auquel les Athéniens avaient à tout hasard dédié un temple. La société moderne est celle d’une humanité désormais amputée de ce qui avait toujours été sa plus haute aspiration.
En ce sens-là, le personnage qu’incarne Albert Dupontel est parfaitement moderne : et le plus remarquable, le plus décisif, c’est qu’il n’est cependant ni un soixante-huitard, ni un débauché, ni un bling-bling, ni un abruti de télévision, ni un amateur de rave-parties, ni un membre influent de la classe politico-médiatique. C’est un homme honnête et un honnête homme. Il n’a pas encore été ravagé dans sa personnalité par la dure sentence de Chesterton à laquelle rien n‘échappe finalement : « Ôtez le surnaturel, il ne reste que ce qui n’est pas naturel. » Ou plutôt, il n’a été atteint que par cette absence radicale d’espérance, il n’en a pas même une ombre ou un vague reflet. Mais il est d’un naturel bienveillant et généreux, son réflexe habituel est d‘écouter les gens et de les aider. Et surtout il a, un peu aveugle, ou au moins obscure, une réelle piété filiale, qui est comme on le sait la plus grande vertu naturelle, la plus belle, la plus riche, la plus fondamentale, la seule à laquelle a été promise une récompense temporelle, le principe solide, fécond, indispensable de toute vie sociale. Mais rien, pas même cela, ne saurait combler l’absence de Dieu. Le film trace un saisissant portrait de cette Absence.
JEAN MADIRAN
Article extrait du n° 6588 de Présent, du Jeudi 15 mai 2008
A lire, dans le même numéro Deux jours à tuer Première lecture par CAROLINE PARMENTIER et Deuxième lecture par ALAIN SANDERS
Le désespoir moderne devant la mort
C’est le titre du nouveau film de Jean Becker : Deux jours à tuer(...) Le film pose avec une saisissante maîtrise ce que l’on appelle imparfaitement un « problème de société ».
A la suite d’un quiproquo où il n’est pour rien, le principal personnage, Antoine Méliot, joué par Albert Dupontel, laisse croire à sa femme, et fait croire au spectateur, qu’il a une liaison extra-conjugale. Le spectateur ne saura la vérité qu‘à la fin du film, et sa femme seulement après sa mort. Quand on connaît la clef de l’histoire, il convient de la revivre depuis le début en connaissance de cause, par exemple en voyant le film une seconde fois.
On aperçoit alors qu’il s’agit d’un brutal mais caché face à face avec la mort. Un face à face désarmé. La mort fait peur et horreur à la nature créée, elle est source d’une profonde tristesse, on le voit déjà dans le règne animal. Il s’y ajoute chez l’homme la douloureuse pensée du déchirement que la séparation va causer aux êtres chers qui survivent, sentiment qu’Albert Dupontel joue admirablement. Notre Seigneur lui-même a pleuré devant le tombeau de Lazare, qu’il allait pourtant ressusciter ; et Marthe n’est pas consolée de « savoir qu’il ressuscitera au dernier jour » (Jn 11, 24). Par quoi l’on voit que la plus ferme espérance surnaturelle n’allège pas la tristesse. Mais elle suscite une confiance qui arme l’esprit contre le désespoir.
Le personnage mis en scène par Jean Becker est absolument désarmé devant la perspective qu’avec la mort tout va disparaître. Rien n’a plus de sens si la vie n’a pas d’autre aboutissement que la séparation déchirante et le néant. On sent le poids écrasant d’une énorme absence. Cet Antoine Méliot vit et pense à l’unisson d’une société qui n’est même pas athée, elle n’a aucune idée pour ou contre le surnaturel, elle l’ignore. On est en deçà de cette inquiétude qui fut de tout temps une esquisse d’espérance, toutes les sociétés l’ont eue avant la société moderne : le vague souhait d’une immortalité de l‘âme, la croyance qu’il existe peut-être, au-delà du monde visible, une Bienveillance mystérieuse ou bien une Sévérité qui juge ; un « dieu inconnu » comme celui auquel les Athéniens avaient à tout hasard dédié un temple. La société moderne est celle d’une humanité désormais amputée de ce qui avait toujours été sa plus haute aspiration.
En ce sens-là, le personnage qu’incarne Albert Dupontel est parfaitement moderne : et le plus remarquable, le plus décisif, c’est qu’il n’est cependant ni un soixante-huitard, ni un débauché, ni un bling-bling, ni un abruti de télévision, ni un amateur de rave-parties, ni un membre influent de la classe politico-médiatique. C’est un homme honnête et un honnête homme. Il n’a pas encore été ravagé dans sa personnalité par la dure sentence de Chesterton à laquelle rien n‘échappe finalement : « Ôtez le surnaturel, il ne reste que ce qui n’est pas naturel. » Ou plutôt, il n’a été atteint que par cette absence radicale d’espérance, il n’en a pas même une ombre ou un vague reflet. Mais il est d’un naturel bienveillant et généreux, son réflexe habituel est d‘écouter les gens et de les aider. Et surtout il a, un peu aveugle, ou au moins obscure, une réelle piété filiale, qui est comme on le sait la plus grande vertu naturelle, la plus belle, la plus riche, la plus fondamentale, la seule à laquelle a été promise une récompense temporelle, le principe solide, fécond, indispensable de toute vie sociale. Mais rien, pas même cela, ne saurait combler l’absence de Dieu. Le film trace un saisissant portrait de cette Absence.
JEAN MADIRAN
Article extrait du n° 6588 de Présent, du Jeudi 15 mai 2008
A lire, dans le même numéro Deux jours à tuer Première lecture par CAROLINE PARMENTIER et Deuxième lecture par ALAIN SANDERS