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13 novembre 2007 2 13 /11 /novembre /2007 19:58
par Pierre-Olivier Arduin

Source : La Nef n°187 de novembre 2007


L’an dernier, le Téléthon, qui se déroulera cette année le 8 décembre, avait soulevé une vive controverse. C’est l’occasion d’en tirer les leçons et de réfléchir aux enjeux fondamentaux de la bioéthique.


Beaucoup d’observateurs ont perçu dans la controverse passée du Téléthon le retour d’une prise de parole forte des catholiques dans l’espace public concernant le respect de la vie humaine dès sa conception.
Quels sont les facteurs qui ont concouru à faire éclater ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire du Téléthon ? Et quels enseignements pouvons-nous en tirer pour une annonce active et renouvelée de la culture de vie dans les grands débats bioéthiques qui agitent nos sociétés postmodernes ?
Au n. 95 de l’encyclique Evangelium vitae, Jean-Paul II avait exhorté les chrétiens à « construire tous ensemble une nouvelle culture de vie : nouvelle, parce qu’elle sera en mesure d’aborder et de résoudre les problèmes inédits posés aujourd’hui au sujet de la vie de l’homme ; nouvelle, parce qu’elle sera adoptée avec une conviction forte et active par tous les chrétiens ; nouvelle, parce qu’elle sera capable de susciter un débat culturel sérieux et courageux avec tous ». Reprenons ces trois recommandations du Saint-Père.

Une nouvelle culture de vie

Première proposition de Jean-Paul II : être capable d’affronter la complexité des pratiques biomédicales actuelles. C’est bien ce qui fut à l’origine de la controverse du Téléthon. Reprenant les argumentaires fouillés de la Fondation Jérôme Lejeune, la commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon a rappelé ce que recouvrait la technique du diagnostic préimplantatoire (DPI). Le spécialiste de la bioéthique du Monde, Jean-Yves Nau, écrivait ainsi : « Les responsables de l’Église catholique n’ont pas tort de rappeler que les enfants sains, montrés dans ce spectacle qu’est le Téléthon, ne sont en rien des enfants guéris. Une erreur majeure serait ici d’assimiler guérison et tri embryonnaire. Et, sauf à accepter d’entrer dans une phase de régression collective, il importe de maintenir cette distinction » (1). Utiliser la fécondation in vitro pour se donner les moyens d’éliminer les embryons porteurs du gène « défectueux » en ne réimplantant que ceux qui en seraient exempts nous a conduits à poser cette question très simple : que penser d’une médecine qui affirme soigner la maladie en supprimant à la source les malades ? La cohérence de l’argumentation posait d’ailleurs une autre question qui prend aujourd’hui des proportions tout à fait inédites dans nos démocraties sécularisées : celle de l’eugénisme. L’avortement in vitro et in vivo des enfants souffrants d’anomalies génétiques et chromosomiques est dans les faits érigé en quasi politique de santé publique. À tel point que Didier Sicard, président du CCNE, osait dire que « la France construit pas à pas une politique de santé qui flirte de plus en plus avec l’eugénisme […]. La vérité centrale est que l’essentiel du dépistage vise à la suppression et non pas au traitement. Ainsi le dépistage renvoie à une perspective terrifiante : celle de l’éradication » (2).
Aborder et résoudre les problèmes posés au sujet de la vie, c’était aussi nous intéresser à une seconde problématique : celle de la recherche sur l’embryon humain. Le décret d’État du 6 février 2006 autorise en effet les scientifiques français à expérimenter sur les « embryons surnuméraires dépourvus de projet parental ». L’objectif est de prélever, après désagrégation de l’être humain dans sa plus extrême jeunesse, les fameuses cellules souches embryonnaires dont on espère qu’elles pourront régénérer des organes défaillants si elles sont correctement cultivées. Or, le dogme de l’embryon réservoir de pièces détachées, s’il est meurtrier sur le plan éthique, s’est avéré être une imposture sur le plan médical.
En septembre 2006, l’Académie pontificale pour la Vie réunit à Rome des chercheurs mondialement reconnus, dont le domaine de prédilection est l’étude des cellules souches adultes. Benoît XVI les reçoit en leur adressant un message stimulant : « La recherche sur les cellules souches somatiques mérite une approbation et un encouragement lorsqu’elle conjugue de façon heureuse à la fois le savoir scientifique, la technologie la plus avancée dans le domaine biologique et l’éthique qui postule le respect de l’être humain dès sa conception » (3). L’audience de cette rencontre sera exceptionnelle dans la presse française et européenne, sidérée de la désinformation qui gangrène ce champ de la médecine. Car au même moment on sait qu’aucune application clinique n’a vu le jour chez l’homme avec les cellules souches embryonnaires d’autant plus que les expériences chez l’animal montrent un risque de formation de tumeurs cancéreuses rédhibitoire. Aucune comparaison possible avec la découverte d’un groupe de cellules inconnu dans le sang du cordon ombilical dont l’équipe des professeurs McGuckin et Forraz à Newcastle démontre qu’il recèle un potentiel exceptionnel à former différents tissus. Après avoir présenté leurs travaux au Vatican, ils ont été reçus par Mgr Rey à l’Évêché le 20 février 2007 pour faire part du réel espoir que représente pour les malades cette source universelle et gratuite de cellules souches, ouvrant la voie prometteuse d’une médecine régénératrice innovante et éthique. C’est d’ailleurs avec eux que la Fondation Jérôme Lejeune vient de créer le consortium international Novus sanguis qui devrait interpeller vivement nos responsables politiques sur les mauvais choix de la recherche française en cette matière.
On comprend donc que l’étude précise des défis technoscientifiques contemporains est fondamentale pour soutenir le débat. Et c’est bien pourquoi Benoît XVI nous exhorte à une certaine expertise dans ce domaine : « Sans une formation continue et adaptée, il devient très difficile d’être capable de porter un jugement dans les questions posées par la médecine en matière de sexualité, de vie naissante, de procréation, comme dans la manière de traiter et de soigner les patients » (4). L’organisation d’une formation en bioéthique de troisième cycle sous la houlette de l’Institut politique Léon Harmel et de la Fondation Lejeune, qui constitue une première en France, s’inscrit entièrement dans cet appel du Saint-Père.

Une conviction forte

Le second conseil que nous prodigue Jean-Paul II est l’adoption d’un comportement convaincu. Car ne pas s’engager dans le tragique de l’action une fois que nous avons saisi la vérité, c’est courir le risque de rester dans l’abstraction, ou pire, de nous accoutumer à l’indifférence envers ceux qui sont victimes de la culture de mort. Nous avons donc le devoir d’appliquer in concreto la découverte du Bien et du Juste dans l’agir. Or, la question de la légitimité d’une participation matérielle et financière au Téléthon se posait de manière inédite. En effet, une partie des fonds récoltés a permis de financer dès 2005 le premier laboratoire de recherche à grande échelle sur l’embryon humain : l’Institut I-Stem dirigé par Marc Peschanski qui se félicite d’avoir « bénéficié d’un soutien de l’AFM de 3,4 millions d’euros sur deux ans » (5). On apprenait d’ailleurs à l’occasion de l’inauguration des locaux sur le site du Genopole d’Evry le 11 septembre 2007 par Valérie Pécresse, Ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, que « le conseil d’administration de l’AFM s’engage sur les prochaines années, sous réserve du succès du Téléthon annuel, à doubler le montant des financements décrochés par I-Stem ».
Un document essentiel du Magistère de l’Église, la Note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique du cardinal Joseph Ratzinger (2002), nous a permis d’en tirer les leçons. « Lorsque notre action est confrontée à des principes moraux qui n’admettent ni dérogation, ni exception, ni aucun compromis, l’engagement des catholiques devient plus évident et se fait lourd de responsabilités. Face à ces exigences éthiques fondamentales auxquelles on ne peut renoncer, les chrétiens doivent en effet savoir qu’est en jeu l’essence de l’ordre moral, qui concerne le bien intégral de la personne. Tel est le cas des lois civiles en matière d’avortement et d’euthanasie, [et de protection] des droits de l’embryon humain » (n. 4). La conclusion de la commission bioéthique du diocèse de Toulon qui en a logiquement découlé a été incontestablement le déclencheur de la formidable polémique qui a surgi sur la scène médiatique. Au devoir de connaître la vérité correspond le devoir d’en témoigner là où règne l’erreur. Ce devoir impérieux s’impose sans échappatoire possible. Un catholique ne peut pas l’être à moitié en abdiquant ce que sa conscience bien formée et droite lui dicte d’accomplir. L’objection de conscience devient ainsi un acte de grande portée éthique et politique capable d’ébranler le consensus relativiste ambiant. Voyez l’objection de conscience électorale de l’épiscopat italien qui a permis lors du référendum sur la bioéthique de juin 2005 d’adopter une des lois les plus protectrices de l’Union européenne sur le statut de l’embryon humain. L’objection de conscience ne se limite pas à prononcer un non mais porte en soi une dynamique d’édification du Bien : elle n’est jamais que l’obéissance à une loi supérieure.

Un débat culturel sérieux

Ce qui me conduit à la troisième perspective tracée par Jean-Paul II : l’ouverture d’un débat culturel et courageux avec nos contemporains est possible parce que nous ne prêchons pas pour notre paroisse si l’on peut dire. Au-delà de la controverse éthique du Téléthon s’est joué quelque chose de beaucoup plus vaste. Le choc culturel et moral entre, d’une part, une bioéthique qui se mondialise en s’abreuvant au relativisme et à l’utilitarisme ambiants et, d’autre part, l’enseignement éthique de l’Église qui reste le seul porte-voix d’une conscience morale universelle. Car le Magistère moral de l’Église n’est pas avant tout d’ordre confessionnel mais de nature rationnelle, les exigences éthiques liées au critère universel du respect intangible de la vie humaine s’enracinant dans la loi morale naturelle. L’anthropologie de référence des chrétiens repose sur une conception juste et argumentée de la personne humaine pouvant être partagée par tous ceux qui possèdent une conscience droite. L’ampleur et la qualité de la disputatio qui a pu résulter de la controverse du Téléthon proviennent d’une réflexion personnaliste que conduit l’Église en s’appuyant sur toutes les ressources que lui offrent la science et la philosophie pour motiver la protection de la dignité humaine à toutes les phases de son existence. C’est bien ce qui fait toute la force intellectuelle du christianisme aujourd’hui pour affronter les défis bioéthiques à venir.

Pierre-Olivier Arduin

(1) Le Monde, 7 décembre 2006.
(2) Le Monde, 4 février 2007.
(3) Benoît XVI, Discours aux participants du colloque « Les cellules souches : quel avenir pour les thérapies ? », 16 septembre 2006.
(4) Benoît XVI, Discours à l’Assemblée générale de l’Académie pontificale pour la Vie, 24 février 2007. (5) Les Echos, 28 septembre 2007 (L’AFM est l’Association Française contre les Myopathies).
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