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23 mai 2008 5 23 /05 /mai /2008 18:27
Aux Editions de la Reconquête

Les Editions de la Reconquête rééditent à 500 exemplaires chacun (avec cette mention : « Cette édition ne sera jamais réimprimée ») trois textes importants de Louis-Ferdinand Céline : Ecrits de guerre, Entretiens avec le professeur Y, Mea Culpa (suivi de A l’agité du bocal).

Ecrits de guerre regroupe 26 lettres envoyées à des journaux comme La Gerbe, Aujourd’hui, L’Appel, Je Suis Partout, Révolution nationale, etc. ; une lettre à Jean Cocteau ; la préface pour Bezons à travers les âges d’Albert Serouille : deux lettres à Elie Faure en 1935.

On s’arrêtera à la préface de Bezons à travers les âges où Céline se livre, avec un talent vertigineux, à une défense et illustration de la banlieue parisienne dont il dit qu’elle est « abrutie d’usines, gavée d‘épandages, dépecée, en loques, ce n’est plus qu’une terre sans âme, un camp de travail maudit, où le sourire est inutile, la peine perdue, terne la souffrance. » Que dirait-il aujourd’hui ?

Céline était né tout près de Bezons, à Courbevoie. Mais il n’a pas oublié – et qui s’en souviendrait de nos jours – que l’Histoire de France passa par Bezons où tous ont passé, Goths, Normands, Romains, Anglais, Cosaques, Allemands… Si vous retrouvez, au hasard d’une « chine », le livre d’Albert Serouille, publié en 1944 chez Denoël, ne le ratez pas. Céline ne souhaitait-il pas qu’on l’ensevelisse avec cette histoire de Bezons ?

Dans Entretiens avec le professeur Y, le barde de Courbevoie reste d’une étonnante actualité : « La vérité, là, tout simplement, la librairie souffre d’une très grave crise de mévente. Allez pas croire un seul zéro de tous ces prétendus tirages à 1 000 000 ! 40 000 !… et même 400 exemplaires !… attrape-gogos ! Alas !… Alas !… seule la “presse du cœur”… et encore !… se défend pas trop mal… et un peu la “série noire”… et la “blême”… En vérité, on ne vend plus rien… C’est grave !… le cinéma, la télévision, les articles de ménage, le scooter, l’auto ! 2, 4, 6 chevaux, font un tort énorme au livre… » Là encore, que dirait-il aujourd’hui ?

Il pourrait recopier, mot pour mot, ce qu’il disait alors. Qu’on voit nombre d‘écrivains finir dans la dèche mais qu’on trouve rarement un éditeur sous les ponts. Qu’on ne lit plus. Ou mal. Et il pourrait continuer, sur un banc du square des Arts-et-Métiers, son dialogue avec le professeur Y qui n’a qu’une trouille : parler de politique… Et Céline le rassurerait :

— Ayez pas peur !… oh, aucune crainte ! la politique c’est la colère !… et la colère, professeur Y, est un péché capital ! oubliez pas ! celui qu’est en colère déconne ! toutes les furies lui foncent après ! le déchirent ! C’est justice !… moi, n’est-ce pas, professeur Y, on ne m’y reprendra pas ! pour un Empire ! jamais !

Naguère, Paul Del Perugia a écrit un Céline (Nouvelles Editions Latines, 1987), qui est un des meilleurs livres jamais écrits sur Bardamu. Il y expliquait l’auteur de Voyage au bout de la nuit par le délire celtique qui l’anima toute sa vie. Entretiens avec le professeur Y renforce parfaitement, à cet égard, nos celtitudes.

Mea Culpa (1936) est un cri formidable contre le matérialisme. Avec des pages fulgurantes : « Regardez la gueule du gros Marx, bouffi ! Et encore si ils bouffaient [en URSS], mais c’est tout le contraire qui se passe ! Le peuple est Roi !… Le Roi la saute ! Il a tout ! Il manque de chemise !… Je parle de Russie. A Leningrad, autour des hôtels, en touriste, c’est à qui vous rachètera des pieds à la tête, de votre limace au doulos » (1). Et on citera, à cette occasion, Jules Renard : « Il ne suffit pas d‘être heureux, il faut que les autres ne le soient pas. »

Ayant été bassement attaqué par Sartre dans Portraits d’un antisémite, en 1945, Céline lui répondra en 1948 dans A L’agité du bocal. Un texte qu’il envoya à Jean Paulhan qui, courageux mais pas téméraire, ne le publia pas. Il y rhabilla Sartre pour l’hiver et même pour toutes les saisons à venir. On lui rappelait notamment que, sous la botte allemande, il avait fait jouer son théâtre devant des parterres d’officiers allemands…

Dans la littérature mondiale, il n’y a pas quatre écrivains qui ont fait que l’on n’a jamais écrit comme eux avant et que l’on n‘écrira plus comme eux après. James Joyce. Proust. Et Céline.

(1) Pour ceux qui n’entravent pas l’argomuche, traduisons. Limace : chemise. Doulos : chapeau.

• Disponibles à la librairie France Livres, 6, rue du Petit-Pont, 75005 Paris.

ALAIN SANDERS

Article extrait du n° 6595 de Présent, du Samedi 24 mai 2008

www.editionsdelareconquete.com

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