Avec le thème de la dissidence, le communautarisme (catholique) est depuis plusieurs années l’objet d’une véritable disputatio, à cause de l’usage délicat, car analogique, de ce concept à manier avec discernement. Au-delà de la polémique, des préjugés et des malentendus, nous avons demandé à Rémi Fontaine, qui en a assumé l’expression avec précaution dans ces mêmes colonnes et s’en est expliqué à plusieurs reprises (notamment sur le Forum catholique), d’en « décrypter » politiquement le sens.
— Le communautarisme a plutôt mauvaise presse aujourd’hui, faisant l’effet d’un « chiffon rouge ». Comment en êtes-vous venu à défendre l’idée d’un sain et légitime communautarisme ?
— Très concrètement par l’exemple du scoutisme (traditionnel : celui notamment de l’âge d’or des Scouts de France puis des Scouts d’Europe). Lorsque j’ai écrit L’âme du scoutisme (Editions de Paris, 2003), j’ai été amené à expliciter qu’il correspondait à ce qu’on appelle aujourd’hui un « communautarisme » : un monde à part avec son identité, son code de vie, ses rites, ses préférences… et même son « repli » dans la nature. Mais loin d’être exclusif et fermé sur lui-même, son « communautarisme » était ouvert sur les autres, sur la cité, sur l’universel, sur la civilisation de l’amour. Pépinière de vocations multiples, quel mouvement aura été plus missionnaire au cours de notre XXe siècle ? Par analogie, j’en ai induit qu’il pouvait et devait en être ainsi de toute communauté (naturelle ou d’élection) authentiquement chrétienne.
Plus théoriquement, lorsque j’ai écrit La laïcité dans tous ses débats (Editions de Paris, 2004), je me suis posé la question du malsain et illégitime communautarisme comme corollaire obligé de la malsaine et illégitime laïcité. Dans un chapitre intitulé « Laïcisme ou communautarisme ? Pour sortir de l’aporie », j’ai expliqué le mouvement de balancier qu’opère aujourd’hui le laïcisme entre jacobinisme (égalitarisme entre individus face à l’Etat) et laïcité ouverte (égalitarisme entre communautés). C’est la disparition révolutionnaire des corps intermédiaires qui engendre le repli identitaire comme réponse à la perte d’identité créée par le métissage individualiste du libéralisme. Mais un repli anarchique qui mêle les bons et les mauvais communautarismes et les met absurdement sur un pied d’égalité au nom de la liberté. Pour sortir de ce mauvais dilemme et surtout de la dissociété dans laquelle il nous place, je n’ai pas trouvé d’autre voie alternative (et d’autre mot malgré sa connotation péjorative et quelque peu minée !) que le « sain et légitime communautarisme », à l’instar de Pie XII avec la « saine et légitime laïcité ». J’ajoute parfois national et catholique…
— Comment définiriez-vous ce concept ?
— Je prends bien soin en effet de le déminer en y mettant le plus souvent des guillemets. Le communautarisme est un concept analogique, comme on dit en philosophie, fondé sur une réalité : la communauté. C’est-à-dire qu’il se dit et se vit de plusieurs façons plus ou moins bonnes ou mauvaises, selon qu’il est plus ou moins ordonné ou non au bien commun général.
D’après le Petit Robert c’est un système (disons une pensée ou doctrine) qui développe (défend) la formation de communautés par opposition au métissage individualiste. Par extension, ce peut être la proposition d’une société selon un modèle organique (subsidiarité) plutôt que mécaniste (étatisme laïciste). Mais l’homme étant naturellement un animal social et politique, personne en fait (à part l’ermite ou la brute) n’échappe au communautarisme. Pas même le laïcisme jacobin de stricte observance qui, après la destruction (partielle) des corps intermédiaires, recrée artificiellement ses propres communautés (départements, partis, lobbies de toutes sortes : gay, féministe, immigrationniste…) selon le principe maçonnique : « dissoudre et coaguler ».
Il faut donc bien distinguer :
• les communautés légitimes (dites d’ouverture), naturelles ou d’élection, de droit inné ou acquis, qui répondent diversement au bien commun national. Par exemple : les familles, les paroisses, les communes, les provinces, les communautés de travail ou corps de métier, les catholiques ou les protestants de France, le peuple breton ou corse, les Portugais ou les Arméniens habitant en France, la communauté des harkis, les corps de métiers, un club de joueurs de pétanque, etc. ;
• les communautés illégitimes (dites aussi d’enfermement), toujours artificielles ou contre nature, parce que fondées sur un désordre politique, moral ou religieux qui nuit au bien commun. Par exemple : les mafias de toutes sortes, un certain lobby gay par son prosélytisme exclusif, un certain lobby islamiste prônant le terrorisme, la secte du Temple solaire, etc.
Comme dans la théorie des ensembles, tout cela se vit dans une commutativité nationale (voire internationale) de bon ou de mauvais aloi, avec inclusions, exclusions, intersections, etc.
Il faut distinguer à la fois pour unir (les communautés légitimes) et pour opposer (les légitimes aux moins légitimes, voire aux malsaines).
Extrait de l'Article paru dans le n° 6600 de Présent, du Samedi 31 mai 2008