Le Pape change la donne. D’abord, dans le village planétaire, si tant est que cette fiction médiatique ait une réalité, il incarne la seule institution qui dure, et non seulement se maintient, mais se renouvelle. « L’homme remonte toujours vers sa source », disait Alphonse de Lamartine, à l’opposé du courant qui, lui, ne le peut pas. L’Eglise de Rome est « experte en humanité » ! Elle remonte toujours vers son origine divine, et, reliant les choses du temps à l’éternité, elle renouvelle la face de la terre.
Le « semeur de charité et d’espérance » est venu, chez nous, tracer un chemin de lumière, qui nous ramène à nos origines non par nostalgie, encore moins par regret de ce qui fut, mais pour mieux voir et faire ce qui doit être.
Il a joint le geste à la parole. Aux Bernardins, après avoir rappelé les
Pères sacrés de notre EuropeFondateurs de la Chrétienté…
Pâtres, pécheurs, Docteurs
O Prêtres !...
Il a écrit, en caractères grecs, sur le Livre d’or que lui tendait le prince de Broglie, le commencement de l’Evangile de saint Jean, nous reliant ainsi, d’un coup, à cette nouvelle Genèse, qui est d’Athènes en même temps que de Jérusalem. A Lourdes, après avoir fait chanter, en latin, le Credo et le Pater, comme il l’avait fait à Paris, il a entonné l’Angélus dans la même langue de toujours et de l’Eglise, « la langue d’or, fille romaine du Peuple-Roi ». La croix replacée au centre de l’autel, la communion reçue sur les lèvres, les mains jointes, les genoux pliés, le silence de l’adoration, nous enseignent à nouveau, par les moyens matériels inscrits dans l’espace, et par les attitudes du corps comment l’âme peut respirer.
Comme il nous l’a dit, évoquant la libération du sol français, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, notre temps réclame une libération spirituelle. Le Libérateur est venu. Et les foules ont marché spontanément à sa suite.
Ce fut un succès populaire. François Fillon, dans son allocution de départ, à l’aéroport de Tarbes, l’a souligné. Ce succès populaire contraste avec une certaine réticence, une hypocrite réserve, un déficit d’enthousiasme constatés chez ceux qui auraient dû, au contraire, manifester à pleins poumons leur joie et leur adhésion. Il est en opposition absolue, ce succès populaire, avec la gêne ou la dérision, et maintenant l’oubli, de la classe médiatique qui, bien sûr, ne pouvant éviter l’événement, travaille maintenant à l’effacer du souvenir. Raison de plus pour y revenir, et sans cesse creuser ce chemin de lumière.
C’est le laïcat, au sens premier du mot, qui signifie peuple, qui a le mieux écouté, compris et aimé le Pape. C’était déjà vrai avec Jean-Paul II, mais il y a plus d’un demi-siècle, c’était aussi vrai avec Pie XII, dont les encycliques sociales, véritables monuments de sagesse et de prophétie politiques pour le monde d’aujourd’hui, n’étaient travaillées, enseignées, mises en œuvre que par des laïcs, dans l’oubli, voire la négation ou l’opposition de la majorité de ceux qui auraient dû en être les relais et les répétiteurs. La seule chose qui se porte bien, dans l’Eglise de France, au long des siècles, c’est le gallicanisme, j’entends par là non la juste liberté des Eglises locales, mais l’esprit de fronde, d’orgueil, de ridicule quant à soi, qui est bien un travers de notre caractère national. « L’évêque de Rome dit ce qu’il veut, mais moi, archevêque ou évêque du lieu, je fais comme je veux. » Et l’obéissance refusée ou acceptée chichement de l’évêque du lieu à l’évêque de Rome est exigée, de façon absolue, par le même évêque, de ses ouailles. Sans aucune révolte, mais avec la force tranquille de ceux qui ont été directement confirmés dans leur foi, le laïcat catholique français va faire ce que le Pape demande de faire, aux laïcs, comme aux prêtres et aux évêques. A Lourdes, il ne s’est pas adressé à la foule en méprisant la hiérarchie, ni à la hiérarchie en parlant en confidences. Il s’est adressé en même temps aux deux, aux évêques réunis et au peuple qui entendait. Ce discours est notre charte, notre ligne de vie et d’action, notre programme. Il contient ce que nous pouvons faire, directement, nous les laïcs, dans l’ordre familial, politique, culturel et social ou ce que nous devons demander et ce que nous pouvons exiger de nos clercs, évêques et prêtres : la messe, le catéchisme et les sacrements.
La résonance du message pontifical a dépassé largement les frontières visibles de l’Eglise et du laïcat catholique. C’est le peuple de France, tout entier, qui a été impressionné. Un champ s’ouvre donc, à nouveau, d’une évangélisation par la culture et d’une réforme de nos institutions et de nos mœurs politiques, qui dans une nation dont les racines chrétiennes ont été rappelées, chantées, célébrées par le Pape et par le gouvernement, ne peuvent plus ignorer la doctrine sociale de l’Eglise. Le mur imaginaire de la laïcité que Jacques Chirac avait tenté de consolider, a volé en éclats, et les religions ont retrouvé droit de cité. N’oublions pas cependant que la « laïcité à la française », celle du petit père Combes, de Jaurès et de Jules Ferry, n’a jamais été vraiment hostile qu’à l’Eglise catholique. Elle n’était pas contre « les religions ». Elle était anticatholique. Officiellement, par la voix du président de la République et du Premier ministre, la République n’est plus anticatholique. Au contraire, elle reconnaît que la France est née, a été modelée, civilisée, par les moines, les prêtres, les évêques et les saints. C’est tout un enseignement de l’histoire, des arts et des lettres, et de la politique, qui se déduit de cette reconnaissance. Il ne suffit pas de le dire, en deux phrases, pour ensuite faire comme si cette réalité n’existait plus. Si ces mots sont exacts, la République reconnaît, aujourd’hui, que nous, catholiques, nous sommes les héritiers légitimes de la France, que, même si la France est devenue « multiple », les racines, elles, ne peuvent pas changer, et que, contrairement à la parole imbécile qu’a prononcée, sans réfléchir, je l’espère, un Prince de l’Eglise de France, la France d’aujourd’hui, est chrétienne, comme l’était la France d’hier, et comme le sera la France de demain, car on ne se défait jamais de ses racines. Le cours de l’histoire peut se remonter, en esprit, pour mieux savoir d’où nous venons afin de voir où nous devons aller, mais il ne se refait pas, il ne se change pas, c’est un donné. Même envahie par les bouddhistes et les musulmans, les mormons et les animistes, la France sera toujours catholique parce qu’elle ne peut pas être autrement. Catholique envahie, catholique dénaturée, catholique écrasée, vaincue, occupée… mais catholique toujours et donc toujours renaissante.
C’est cette renaissance catholique, dont chaque génération, à son tour, reçoit la charge, que Benoît XVI est venu conforter, enseigner et bénir.
Et les foules – croyantes ou incroyantes – ont suivi, grands de la culture et humbles malades de Lourdes. Emules de Thomas d’Aquin, d’Albert le Grand, des géants de la pensée ou petits frères de Bernadette Soubirous, nous sommes le peuple de Dieu, le laïcat catholique français, celui qui jamais ne fut abandonné, et à qui, quand cela lui est demandé avec confiance et ferveur, Dieu envoie « le meilleur secours qui soit à Roi ou à Cité, le secours du Roi des Cieux ».
JACQUES TREMOLET DE VILLERS
PRESENT n°6680 daté du 24 septembre