LEMONDE.FR | 15.04.10 |
Verra-t-on bientôt Benoît XVI débarquer à New York au volant de sa papamobile armé d'un fusil à proton pour désintégrer les fantômes des victimes juives des camps de concentration qui, selon les rumeurs au Vatican, hantent la salle de rédaction du New York Times ? Voilà la question que l'on pourrait poser alors que le lobby juif américain de New York est vertement pointé du doigt par le Vatican. Ce dernier voit en effet dans les propos des journalistes quotidien new-yorkais une attaque en règle visant à déstabiliser l'Eglise catholique et à détrôner le pape.
Notons que le New York Times appartient à une très riche dynastie juive américaine, la famille Sulzberger. Suivant le Vatican, le scandale médiatique des prêtres pédophiles soulevé par leNew York Times n'est qu'un vil subterfuge pour se débarrasser de Benoît XVI, un pape qui, par son dogmatisme et son conservatisme, contrevient aux valeurs de la société de consommation soutenues par le lobby juif américain.
Ce ne serait donc pas tant les cas d'abus sexuels qui seraient le véritable motif de ces mises en accusation : ce seraient plutôt les politiques jugées trop conservatrices de l'Eglise catholique par les tenants du libéralisme, un libéralisme où la femme a une place de choix et où, également, l'avortement et la contraception constituent un marché lucratif important, et cela, à l'échelle mondiale. Minimisant la teneur des accusations portées contre lui, Benoît XVI, tel le Christ chassant autrefois les vendeurs du Temple, aura donc choisi de s'attaquer à ces impénitents qu'il accuse de vouloir se débarrasser de lui pour corrompre davantage la planète et mieux faire commerce !
Soulignons que le torchon entre le pape et la communauté juive brûle déjà depuis un certain temps. Rappelons que c'est Benoît XVI qui, en 2007, a restauré la version latine de la prière du Vendredi saint, une prière dans laquelle on demande la conversion des juifs au catholicisme. Ce qui, on le comprendra, représente un affront de taille pour cette communauté qui, à force de travail et de persévérance, a réussi à survivre aux pires événements de l'histoire. Et c'est d'autant plus vrai si l'on considère que cet affront vient de la part d'un pape allemand, ex-membre des jeunesses hitlériennes. Notons également que c'est Benoît XVI qui, alors qu'il était cardinal, s'était permis de lever l'excommunication pesant sur l'évêque négationniste de la Shoah, Mgr Richard Williamson.
Mais c'est récemment, lors de la liturgie de la passion du Christ précédant l'homélie du Vendredi saint, que le tout a culminé : sans qu'on s'y attende, le prédicateur de la maison pontificale a eu le culot de comparer le pape à une victime d'antisémitisme. Nonobstant le fait que le père Cantalamessa, responsable de ce propos, s'est dit désolé par la suite d'avoir pu choquer, il n'en demeure pas moins que cette affirmation en dit long sur la perception que l'Eglise de Rome se fait de sa responsabilité dans le dossier des prêtres pédophiles.
En effet, dans le contexte tendu actuel, cette maladroite analogie peut être associée à une tentative de réactualisation du Calvaire, mais, cette fois-ci, pour le compte du pape et des politiques rétrogrades de l'Eglise : tout comme le Christ qui, torturé à mort par les juifs, se voyait autorisé à obtenir de son père le pardon pour les péchés du monde, le pape, de même persécuté aujourd'hui par le lobby juif américain, pourrait se considérer, lui aussi, autorisé à obtenir le pardon quant à sa mauvaise gérance des dossiers de prêtres pédophiles. Ce serait également là un merveilleux prétexte pour dénigrer les valeurs libérales.
Les juifs se retrouvent ainsi malencontreusement replacés dans leur rôle d'origine dans l'histoire du christianisme : les vils responsables de la mort du Christ, et, maintenant, ceux qui veulent la démission de son illustre représentant sur terre, le pape !
Pareille attitude est inquiétante. Elle l'est à la fois parce qu'elle remet à l'ordre du jour les luttes interreligieuses, dont on pourrait bien se passer mais, aussi et surtout, parce qu'elle dénote un refus systématique et absolu de l'Eglise catholique d'y voir clair et de s'attaquer au problème récurrent des prêtres pédophiles en détournant l'attention des fidèles vers un ennemi extérieur. Pour Benoît XVI et le Vatican, le constat est simple : la pédophilie chez les prêtres catholiques est une chose du passé et les erreurs en ce domaine sont désormais pardonnées. On comprend mieux alors pourquoi Benoît XVI, dans l'homélie qui a fait suite à cette présentation surprenante, n'a pas cru bon glisser mot des abus sexuels des prêtres pédophiles et a tout bonnement préférer parler d'autre chose…
Il faut dire que les implications du clergé catholique dans des affaires de déviances sexuelles ne datent pas d'hier, et cela à des niveaux hiérarchiques parfois très élevés. Sans vouloir aller dans les cancans, il existe au sein de l'Eglise catholique une tradition fortement implantée de camouflage sur tout ce qui touche à la sexualité des membres de son clergé. Qu'il s'agisse de liaisons hétérosexuelles, homosexuelles ou pédophiles, l'Eglise catholique avait développé au fil des années une panoplie d'outils qui s'avéraient très efficaces pour se protéger des scandales.
Mais la pluie d'accusations qui s'abat présentement sur Benoît XVI le place dans une position différente : étant le fruit de nouvelles technologies de l'information où tout se sait et se dit à grande échelle en une fraction de seconde, la crise qu'il traverse échappe à son contrôle. Le dérapage du Vendredi saint où, pour apaiser la tempête, l'Eglise de Rome n'aura réussi qu'à attiser davantage l'indignation du monde entier en est un bon exemple.
Benoît XVI alias Ratzinger, un théologien habituellement reclus dans ses appartements, n'avait jamais eu à subir une telle invasion médiatique. Habitué de par ses fonctions à la congrégation pour la doctrine de la foi à tout savoir, tout contrôler et tout prévoir, les accusations du New York Times découlant d'un procès au civil – chose que, sous l'égide du grand inquisiteur qu'il était, il avait toujours pris soin d'éviter – ont vite fait de le déstabiliser. Or, dans ces accusations, ce sont précisément ces évitements parrainés par des évêques et approuvés par lui qui sont en cause. A ce chapitre, les révélations fusent maintenant de toutes parts et nous n'en serions qu'à la pointe de l'iceberg. Notre "ghostbuster" a donc du pain sur la planche !
La responsabilité de Benoît XVI dans la dissimulation des cas de pédophilie ne fait plus de doute. Alors préfet, ce futur pape semblait éminemment plus préoccupé par le bien de l'Eglise que par celui des enfants. Laissés ainsi, à la discrétion de l'Eglise catholique et à sa mentalité du pardon, des milliers d'enfants ont eu, à cause de lui et pendant vingt-quatre ans, à subir les sévices sexuels de prêtres pédophiles.
Présentement, 4 392 prêtres ont déjà été accusés d'actes pédophiles. Sans vouloir faire de tous les prêtres catholiques des pédophiles, il reste que cela représente environ 4,5 % de l'effectif du clergé. C'est un prêtre sur 20 ! De plus, si l'on considère que les cas aujourd'hui déclarés l'ont été principalement dans les pays occidentaux, notamment en Amérique du Nord et en Europe, on peut à peine imaginer le nombre de cas ayant existé dans les pays du tiers monde où œuvraient au-delà de tout soupçon des milliers de missionnaires auprès d'enfants démunis et souvent sans famille.
C'est l'ensemble des politiques de l'Eglise catholique en ce qui a trait au célibat des prêtres qui est en question. Et, derrière cela, c'est aussi la conception de la femme à l'intérieur de l'Eglise catholique qui est en cause, car tant que cette Eglise associera la femme au mal ou au péché, et comme n'étant pas assez noble pour accéder au sacerdoce, elle pourra prétendre ne pas pouvoir accepter sa présence auprès de ses ministres.
Mais une question se pose cependant en terminant : considérant que la dissimulation institutionnalisée d'abus sexuels sur des enfants constitue un crime, l'Eglise catholique peut-elle moralement maintenir ce "ghostbuster" qu'est Benoît XVI sur le trône de Saint-Pierre ? Ne devrait-elle pas y installer quelqu'un de plus crédible et inspiré pour réaliser l'importante tâche de renouveau qui l'attend ?
Pierre Desjardins est auteur et professeur de philosophie au collège pré-universitaire Montmorency (Cégep)