Deo gratias.
Ce jeudi 9 octobre, un vif débat sur la question avait lieu sur l'antenne de RFI. Il "opposait" Annie Lacroix-Riz, professeur d'histoire contemporaine à l'université ParisVII ( Auteur de Le Vatican, l'Europe et le Reich de la Première guerre mondiale à la guerre froide (1914-1955) Editions Armand Colin,1996.) et Yves Chiron, historien, spécialiste de l'histoire contemporaine de l'église, dans le cadre de l'émission de Jean-François Cadet.
On peut écouter calmement ce débat en cliquant ici.
Fondateur d’une revue, Itinéraires (1956-1996) et d’un quotidien, Présent (1982), Jean Madiran, tout au long de sa carrière d’écrivain, a consacré beaucoup de son temps, de ses forces et de son talent au journalisme. Fort de cette longue expérience sur le terrain, il se livre dans son dernier ouvrage (1) à une réflexion approfondie sur le déclin de la presse écrite qui, particulièrement en France, va de mal en pis… Notamment la presse quotidienne, quasiment exsangue.
Jean Madiran a depuis longtemps identifié le germe de cette tumeur maligne qui ronge la presse écrite et a décimé tant de journaux. Une sorte de cancer intérieur qui a développé ses métastases mortifères durant plus d’un siècle. Depuis en fait 1836, année où Emile de Girardin (2), considéré comme « le précurseur de la presse moderne », imagina d’avoir recours à la publicité pour pouvoir vendre son journal à très bas prix. « C’est-à-dire, pour augmenter la diffusion, abaisser le prix de vente du journal et faire payer le manque à gagner par d’autres personnes que les lecteurs : par les annonceurs publicitaires. Cette innovation a mis plus d’un siècle à développer jusqu’au bout son effet pervers. Peu à peu la part de la publicité a augmenté, l’influence des publicitaires sur les journaux pareillement. Leur argent est devenu le maître. » Au terme de cette logique on aboutit d’ailleurs à la presse totalement gratuite.
C’est l’évolution de ce phénomène destructeur que radioscopie Jean Madiran. Il nous indique aussi quelques remèdes douloureux susceptibles d’enrayer ce cancer généralisé. Mais il est bien tard. Les quotidiens « généralistes » survivants sont non seulement aujourd’hui sous perfusions publicitaires mais aussi sous injections toujours plus fortes de crédits bancaires, cautionnés par de grands groupes financiers, à la recherche non plus de bénéfices qu’ils savent bien ne plus pouvoir réaliser, mais d’influence.
Je me souviens avoir lu récemment qu’un grand groupe industriel avait versé à la presse écrite, pour une campagne publicitaire, un budget dépassant les dix millions d’euros. L’importance de telles sommes explique la dépendance économique des médias à l’égard des annonceurs. A noter également que dans la profession des attachés de presse, l’expression utilisée pour désigner un média n’est plus comme avant « organe de presse » mais « support ». Ce qui sous-entend « support publicitaire ». Une évolution du vocabulaire très significative. De même que dans la grosse presse, notamment les magazines, il est courant que des réunions de rédaction se passent à supputer les réactions éventuelles des annonceurs au contenu de tel ou tel article. Tout cela caractérise très bien la mainmise de la publicité et des « investisseurs financiers » sur les médias.
Le rétablissement du délit d’opinion
Mais, dans son enquête, l’auteur examine également une autre cause de l’asservissement dont la presse est victime : les lois qui, en France, musèlent de plus en plus férocement la liberté d’expression. La loi de 1881, sur la liberté de la presse, nous explique Jean Madiran, « a été, sans changer de nom, transformée sous la Ve République en loi contre la liberté de la presse par les amendements successifs que lui apportèrent la loi Pleven de 1972, la loi Gayssot de 1990 et la suite jusqu’à 2004 et la création de la Halde. (…) La loi Pleven du 1er juillet 1972, la loi Gayssot du 13 juillet 1990 et deux lois laïques de 2004 ont établi, perfectionné, renforcé un triple interdit ». Une extension continue et subreptice de la censure, qui fait qu’aujourd’hui, en France :
« 1.– Il n’est plus permis de parler de l’immigration-invasion qu’à la condition d’écarter toute distinction de nationalité, déclarée discriminatoire : distinguer entre Français et étrangers n’est plus une opinion, c’est un délit, c’est le délit de xénophobie.
« 2 – Il n’est plus permis de réclamer la mise en œuvre de la préférence nationale appliquée pourtant d’un bout à l’autre du monde par la plupart des Etats : ce n’est plus une opinion, c’est un délit, le délit de racisme.
« 3. – Il n’est plus permis de défendre l’institution du mariage comme étant exclusivement entre un homme et une femme : ce n’est plus une opinion, c’est un délit, le délit d’homophonie. »
A noter que sur ce sujet certaines prises de position de la candidate républicaine à la vice-présidence des Etats-Unis Sarah Palin tomberait tout simplement en France sous le coup de la loi.
Cet arsenal liberticide comporte les armes absolues que sont l’accusation « d’apologie de crime contre l’humanité » et de « contestation de crime contre l’humanité ». Deux pistolets désintégrateurs dont le rayon d’action est de plus en plus étendu.
La droite était contre. Mais elle ne s’en souvient plus…
Lorsque la loi du communiste Gayssot « fut votée en juillet 1990 par la majorité alors socialo-communiste de l’Assemblée nationale, la droite minoritaire protesta violemment (…). Les députés de la droite parlementaire jurèrent solennellement d’abolir, dès qu’ils reviendraient au pouvoir, cette loi qu’ils déclaraient immonde. Revenus au pouvoir, ils n’en ont plus parlé ». Certains lobbies régnant en France dans les coulisses du pouvoir – dont un en particulier, que les muselières évoquées ci-dessus m’interdisent de nommer – s’y seraient de toute façon opposés. D’ailleurs, de façon générale, la droite courbe ne revient jamais sur les lois instaurées par la gauche. Sinon, parfois, pour les aggraver.
Sous la menace d’une censure politique permanente jamais nommée comme telle, ce qui a pour conséquences de maintenir les éventuels « délinquants » dans le doute et l’incertitude juridique, beaucoup de journalistes préfèrent aujourd’hui éviter les sujets trop brûlants. Des domaines sur lesquels ils peuvent d’autant plus se faire piéger qu’ils ignorent le plus souvent l’emplacement et la nature des pièges. Plus les journalistes demeurent ainsi dans le flou, à la merci de l’arbitraire, plus évidemment ils deviennent prudents. Un procès, en cas de condamnation, peut coûter très cher. Surtout pour la presse artisanale. Quel rédacteur voudrait prendre le risque de couler son entreprise ? Dans de telles conditions, l’argent s’avère encore la meilleure des censures : celle qui engendre l’autocensure…
Comme le dit si bien Robert Ménard
En 2003, le fondateur de Reporters sans frontières, Robert Ménard (3), cosignait avec Emmanuelle Duverger un livre courageux, La Censure des bien-pensants (aux éditions Albin Michel), dans lequel il écrivait, à propos du racisme : « Qu’on soit intransigeant avec les actes racistes, personne ne le conteste. Qu’on criminalise l’expression de propos racistes, xénophobes ou antisémites est une autre affaire. »
Voilà bien le cœur du problème. C’est une chose, et parfois une nécessité, de condamner certaines idées, de les contredire et de les combattre, mais loyalement, par la parole ou l’écrit, arguments à l’appui. Ce qui était le cas dans la tradition de la presse française d’avant-guerre. C’en est une autre de les criminaliser. Or, c’est bien ce processus scélérat qui s’est déroulé en France sous la Ve République. Surtout depuis la funeste loi Pleven de 1972, pierre angulaire de ce processus infâme. Avec la brutale accélération de la loi stalinienne de 1990, ce n’est plus seulement le soi-disant racisme que l’on a outrageusement criminalisé, mais toutes une série d’idées portant sur le négationnisme, l’immigration, le colonialisme, l’homophobie, la revendication d’une identité ethnique ou nationale, voire religieuse. Sans parler bien sûr des idées qui ne tombent pas encore directement sous le coup de la loi, mais, la diabolisation aidant, excluent en France leurs auteurs des débats publics. Se déclarer, par exemple, nationaliste ou partisan de la peine de mort. Ou reconnaître quelques mérites à la colonisation. Les autres participants, s’ils ne s’étouffent pas d’indignation, s’ils ne couvrent pas l’hérétique d’injures, se lèvent et s’en vont. On ne discute pas avec ceux qui ont de telles options… Si la justice ne les pas encore « criminalisées », l’opinion médiatique, elle, l’a déjà fait.
Dans son Enquête sur… la maladie de presse, Jean Madiran précise : « L’extensibilité indéfinie de l’inculpation pour apologie du crime permet aux sentences de la “Chambre (de répression) de la presse” d’aller sans rougir jusqu’à déclarer coupable d’apologie toute tentative “d’instiller un doute” ou de s’exprimer “sous forme dubitative” : c’est vraiment prétendre scruter et juger des intentions supposées perverses. » Vos arrière-pensées, vraies ou supposées, peuvent ainsi vous valoir d’être mis en examen. Bien entendu, en contrechamp, le délit « d’apologie du communisme et de ses crimes n’est jamais poursuivi. On en est là ».
Pour comprendre les mécanismes cachés qui, justement, nous ont amenés « là », c’est-à-dire à cette situation où la pensée est finalement en France beaucoup plus captive que ne l’imagine une grande partie de l’opinion, le mieux est encore de lire le livre de Jean Madiran.
(1) Enquête sur… la maladie de la presse écrite, Editions Via Romana, 12 euros.
(2) Emile de Girardin (1806-1881). Publiciste et homme politique français, il créa les premiers journaux « généralistes » politiquement orientés accessibles au grand public, en abaissant leur prix grâce à la publicité. Ainsi qu’aux annonces. A la recherche de tout ce qui pouvait attirer et retenir le lecteur populaire, Emile de Girardin introduisit également dans la presse une innovation beaucoup plus positive, du moins sur le plan littéraire : le roman-feuilleton.
(3) Je n’étais franchement pas d’accord sur la façon, à mon avis puérilement et hystériquement manichéenne avec laquelle Reporters sans frontières, sous l’impulsion de son chef charismatique, a milité, au nom des droits de l’homme, contre les Jeux olympiques de Pékin, poussant l’activisme anarchique jusqu’à transformer le passage de la flamme à Paris en une détestable chienlit. Le plus coupable étant bien en l’occurrence l’Etat français, incapable, par confusion idéologique, de maintenir l’ordre dans les rues de la capitale. Une attitude dont a bien évidemment profité le gouvernement chinois au détriment de la diplomatie française. Piquée dans son amour-propre (une notion, il est vrai, que les pays occidentaux ne connaissent plus guère), l’immense majorité du peuple chinois, y compris la plupart de ceux qui souhaiteraient sortir du système capitalo-communiste, s’est alors rangée derrière ses dirigeants. Belle réussite et beau gâchis… Cela étant rappelé, je ne suis que plus à l’aise aujourd’hui pour saluer également en Robert Ménard l’un des deux auteurs de cette roborative et décapante Censure des bien-pensants.
JEAN COCHET
On commence à lire dans la presse démocratique d’amères vérités générales sur le journalisme et les journalistes en France, allant même jusqu‘à observer comment l’Etat républicain « exerce pour certains titres un véritable droit de vie ou de mort ». Les révélations de ce genre sont l’un des effets de ces « Etats généraux de la presse écrite » institués par le président Sarkozy et actuellement au travail pour plusieurs semaines (Présent du 4 octobre).
Une proposition très concrète, et même chiffrée. Sans doute nous ne manquons pas d’avoir nous aussi des idées générales sur la maladie de la presse écrite. Mais voici notre revendication pratique au sujet de ce que l’Etat peut faire pour commencer un traitement de la maladie : une disposition législative limitant à 5% des recettes la publicité dans la presse.
Les circonstances politiques y sont favorables : le président Sarkozy s’est révélé très hostile aux excès de la publicité commerciale. Il a entrepris d’en libérer progressivement la télévision d’Etat, c’est-à-dire l’ensemble des chaînes de France-Télévision. Or l’hypertrophie publicitaire est l’une des causes, la plus profonde et la plus décisive, de la maladie de la presse, comme cela ressort de l’Enquête sur la maladie de la presse écrite que viennent de publier les Editions Via Romana.
Grâce au volume exagéré de la publicité commerciale qu’elle accepte, la presse écrite vit dans l’anomalie dangereuse d‘être le seul produit au monde vendu moins cher que son prix de revient. La publicité y est telle qu’elle peut, quand elle le veut, distribuer des quotidiens entièrement gratuits. C’est un sortilège pervers, qui a développé toutes sortes de pathologies et de servitudes : et principalement une dépendance globale, imposant ses normes financières au contenu des journaux (qui pour cette raison en viennent de plus en plus à tous se ressembler).
Pourquoi 5% ? Parce qu’un journal peut résister à la domination des normes et exigences publicitaires en réduisant, s’il le faut, ses dépenses de 5%. Il ne le peut plus quand la publicité représente 30, 50, 80 (ou 100) pour cent de ses recettes et qu’ainsi elle lui est devenue vitalement indispensable. Bien sûr, une réduction à 5% des recettes ne peut être rendue obligatoire du jour au lendemain. La loi devrait imposer des étapes progressives, sur cinq, dix ou quinze ans, le temps que se mettent en place les transformations profondes qu’elle entraînera : la diminution du nombre de pages (qui s’est démesurément augmenté uniquement pour publier davantage de publicité) et un frein à cette surinformation illimitée qui détraque les esprits davantage qu’elle ne les instruit.
On ne peut ni ne désire supprimer totalement « la pub ». Elle a son utilité : elle fait connaître l’existence de produits et de services qui sans elle seraient mal connus ou ignorés. Mais il ne suffit pas d’avoir réglementé et de contrôler son honnêteté commerciale. Elle est malsaine par son hypertrophie, obsédante dans la vie comme dans la presse. Il appartient à l’Etat de lui imposer, comme aux journaux, une cure d’amaigrissement. Elle est l’une des féodalités financières dont l’excès de puissance est contraire au bien commun de la nation française. L’abaisser à un rang plus modeste serait une tâche politique parfaitement capétienne.
Tous les problèmes n’en seraient pas résolus. Mais cette simple mesure législative, à elle seule, entraînerait une lente et irrésistible transformation du journalisme, de la publicité, de la société elle-même. Il y a des réformes dont les conséquences se font sentir quels que soient le contexte historique, le régime politique, le mouvement des idées. L’introduction de la publicité dans la presse par Emile de Girardin date d’un siècle trois quarts, et pendant un siècle trois quarts elle a poussé de plus en plus fort et de plus en plus loin ses conséquences. La décision contraire de limiter la publicité à 5% des recettes d’un journal aurait de fortes chances d‘être aussi puissante, et aussi longuement.
JEAN MADIRAN
Lorsque vous vous êtes entrenu avec un prêtre, votre intention est-elle de lui obéir ou de suivre ses préceptes ?
Nous devons-nous, en tant que catholiques, d'obéir à nos prêtres ou d'entendre les bons principes et règles qu'ils nous prescrivent ?
Une discussion à mon sens intéressante, développée sur le Forum Catholique, à retrouver en cliquant ici.
Illustration : Kiroff, auteur du dvd Agapé scènes de la vie de Jésus
www.agape-dvd.com
Guerres de religion et conséquences
par l'auteur du dvd
Agapé scènes de la vie de Jésus
www.agape-dvd.com