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29 avril 2010 4 29 /04 /avril /2010 13:25

http://rendez-vous.leforumcatholique.org/images/mgr-pascal-nkoue-200.jpgJe reproduis ci-dessous l'intégralité des échanges entre les intervenants du Forum Catholique et Mgr Pascal N'Koué, évêque de Natitingou au Bénin. Comme indiqué sur le forum dédié à son intervention, la reproduction partielle de cet entretien est autorisée, avec mention systématique de la source : http://rendez-vous.leforumcatholique.org/forum.php?id=71 . Compte tenu du temps qu'a nécessité la conception, la réalisation puis la mise en ligne de cet échange, je remercie les différents webmestres de blogs et sites de ne pas procéder à un copié-collé... XA

L'ordre des questions reprend la chronologie de diffusion des questions sur le Forum Catholique.

___________________________________

Comment d'Afrique, analyse t'on la situation de l'Eglise de France? 
Clergé vieillissant, crise des vocations, difficultés d'application de certaines directives romaines, comme le motu proprio. 


• Je suis mal placé pour juger de la situation de l’Eglise qui est en France. Chaque famille, chaque région, chaque communauté, à un certain moment donné, entre en crise pour une nouvelle naissance. La crise peut être une chance. L’Eglise a toujours eu des hauts et des bas. L’encyclique SPE SALVI du Pape Benoit XVI nous redit que le Christ est avec nous jusqu’à la fin des temps. N’ayons pas peur. Car celui qui a fondé l’Eglise veille sur elle. Il a vaincu le monde. C’est lui qui aura le dernier mot. L’Esprit Saint guidant l’Eglise ne peut pas échouer. Vous y croyez ou vous n’y croyez pas ? Tout est là. Des ossements desséchés Dieu peut faire revivre tout un peuple. Quand vous récitez le CREDO : « Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant », vous croyez à sa toute puissance oui ou non ? 

En Afrique, la crise de la foi est elle aussi marquée qu'en occident? 
Constate t-on le même désintérêt des populations pour l'Eglise catholique?
 

• Au Bénin, l’évangélisation systématique a commencé en 1861, et à Natitingou en 1941, pendant la 2° Guerre mondiale. La religion catholique venue récemment est plutôt en plein essor. Pour son action constante au service des populations pauvres, l’Eglise est bien perçue, même par des personnes d’autres confessions religieuses. Le clergé est jeune, quelques dizaines au début des années 70, et aujourd’hui 937 prêtres. Nos séminaires sont pleins. Mais les problèmes ne manquent pas et ne manqueront jamais. Heureusement d’ailleurs, si non on oublierait que notre vraie patrie est au Ciel et on s’installerait ici. Nous avons à nous efforcer de faire confiance au Christ agissant toujours dans et par son Eglise, y compris dans l’Eglise qui est en France

L'Afrique a -t-elle encore besoin de ...misionnaires? 

• L’Eglise en Afrique a encore besoin de beaucoup de missionnaires, même si à Kampala (OUGANDA), le Pape Paul VI a demandé aux Africains d’être leurs propres missionnaires...Toute Eglise a et aura toujours besoin de missionnaires car l’évangélisation est l’affaire de chaque génération. Toutes proportions gardées, Je compare l’Eglise d’Occident au vieux prêtre Eli, et l’Eglise d’Afrique au jeune Samuel (1 Sam 3). Le jeune homme, même s’il dormait dans le temple, ne connaissait pas encore Dieu comme il fallait. L’Ancien l’a aidé. Le vieux prêtre incapable d’orienter ses fils avait encore quelqu’un pour écouter la sagesse de Dieu en la personne de Samuel. Je ne fais pas appel à un certain paternalisme, mais aux racines du christianisme qui ont fait l’Europe, aux traditions chrétiennes, à vos expériences en matière de doctrine sociale, à la multiplicité des charismes pour résoudre les misères sociales, morales et spirituelles, et que dire du foisonnement des Instituts religieux, des nombreux monastères, de la vie de vos divers saints et de vos martyrs qui sont devenus des patrimoines universels, comme on dit aujourd’hui. Tout cela est irremplaçable. C’est une richesse insoupçonnée. Deux mille ans d’histoire chrétienne, ce n’est pas banal. Ne nous en privez pas. 
• Mais si vous parlez de prêtres missionnaires au sens de venus de l’étranger, l’échange entre Eglises est toujours une richesse. Pourquoi pas ? Beaucoup de peuples n’ont pas encore entendu parler de Jésus- Christ en Afrique. Et le Pape Jean-Paul II a eu raison d’écrire, au XXè siècle, dans « REDEMPTORIS MISSIO », que l’évangélisation ne fait que commencer. 

Des diacres permanents sont-ils déjà nombreux dans votre diocèse (et ailleurs)? 

• Les Diacres permanents : cela n’existe pas ici.

Percevez-vous dans votre diocèse une montée de l'Islam ou bien ne concerne-t-elle que quelques régions particulières d'Afrique ? 

• Dans mon diocèse, je ne pense pas que l’islam progresse beaucoup. Ce qui est sûr, nous manquons d’agents pastoraux (prêtres, religieux (ses), laïcs bien formés pour accueillir et encadrer tous ceux qui frappent à la porte de notre Eglise pour y entrer. On agrandit les chapelles, on construit de nouvelles maisons de Frères et Sœurs, on multiplie les salles polyvalentes et les salles de catéchèses. Ce n’est jamais suffisant. Et pourtant les musulmans, nos frères, sont arrivés à Natitingou bien avant les missionnaires de Lyon (Pères de la Société des Missions Africaines). Ce que je trouve beau, c’est le caractère pacifique des deux communautés. Aujourd’hui l’Eglise catholique est première en nombre, mais je voudrais surtout qu’elle soit première en sainteté !!!

Comment avez-vous perçu le voyage du pape en Afrique et les polémiques à charge dans la presse occidentale ? 

• En Afrique, l’hôte est roi ; il est toujours le bienvenu. Le Pape a été reçu lors de son dernier voyage comme le BON PERE SPIRITUEL DE TOUS, et pas seulement de l’Eglise Catholique. Un Bon Papa, par les temps qui courent, c’est rare, ça se déguste. Les Catholiques Africains sont fiers du Pape. Il nous fait honneur. Les professionnels des médias ne peuvent pas l’apprécier. Ils passent leur temps à promouvoir le spectaculaire, le commercial, le pouvoir terrestre, la sexualité débridée, l’amour effréné de l’argent. Le Pape, au nom de l’Eglise, enseigne les vraies valeurs, Dieu riche en miséricorde, la pureté du corps et de l’âme, le détachement, l’humilité etc. Les mensonges n’abattront pas le Pape… Curieusement, au sujet du tsunami médiatique contre lui, les Africains ont été les derniers à être informés. Mais ils ne se sont pas tus. Il suffit de lire les réactions nombreuses, en particulier celle de la CEREAO (Conférence Episcopale de la Région de l’Afrique de l’Ouest), pour constater que l’Afrique a bien reçu le message du Pape et s’est désolidarisé du concert médiatique occidental autour des polémiques sur le préservatif, une affaire montée de toute pièce. Le Pape parlait en fin connaisseur de la situation. C’est lui qui avait raison.

La question que je souhaite vous poser est relative à l'existence éventuelle d'une théologie, voire d'une ecclésiologie africaines et à leur légitimité. 

Notre-Seigneur s'est incarné. Pas seulement dans un corps mais aussi à un moment particulier de l'histoire et dans une certaine culture : le monde méditerranéen caractérisé par la primat intellectuel grec et la domination politique romaine qui étaient parvenus à leur apogée. 

Il est commun d'affirmer que cette supériorité intellectuelle grecque, issue notamment de l'essor de la philosophie hellénique, a été voulue par Dieu afin de doter Son Eglise des instruments conceptuels qui lui faciliteraient sa mission. 

De la même manière, on constate que l'essor politique de Rome, dont l'apogée a correspondu au début de l'ère chrétienne, a facilité l'essor du christianisme en le faisant bénéficier des facilités logistiques que l'empire offrait ; sans parler du cadre institutionnel romain qui, investi par l'Eglise, est devenu la matrice de son organisation et de son administration. 

J'en viens maintenant à ma question : j'ai eu quelquefois l'impression en parlant avec des intellectuels africains qu'ils répugnaient à admettre que la culture gréco-romaine fût dotée d'une certaine universalité, l'universalité du vrai, et donc d'une certaine primauté parmi les autres cultures. Une telle idée est souvent taxée d'ethnocentrisme, voire accusée d'être une forme de colonialisme. A partir de là, certains parlent de repenser la théologie en utilisant des instruments conceptuels purement africains. Or, peut-on sans danger pour la foi, s'écarter impunément, ou relativiser, une culture qui forme le socle intellectuel historique de la théologie catholique. La notion de transsubstantiation, par exemple, peut-elle avoir encore un sens catholique si l'on considère que la philosophie d'Aristote qui a développé et fixé les notions de substance et d'accident n'est qu'une option parmi d'autres ?
 

• J’ai souri à votre question. Vous semblez dire que c’est la philosophie d’Aristote qui est désormais l’ultime instance de vérité pour nous les catholiques. Je connais la valeur de la rationalisation de la foi. Mais la Parole de Dieu sera toujours au-dessus de toute culture. N’oubliez pas que Paul, qui a voulu jouer au philosophe à Athènes, a lamentablement échoué… Je vous supplie de relativiser l’importance de la culture gréco-romaine, en ce qui concerne la foi catholique. Dieu se sert de toute culture pour s’exprimer, et surtout il a du plaisir à se servir de ce qui est faible et fragile. Une chose est le message de Dieu, autre chose est la culture qui véhicule ce message de foi. St Paul, l’Apôtre des Nations, a su défendre avec compétence et clairvoyance la pureté de la foi chrétienne et trouver des expressions adéquates pour porter la Bonne Nouvelle aux non Juifs. St Paul ne voulait pas que les païens soient soumis aux cultures juives. Alors, ne nous faites pas croire aujourd’hui qu’il faut nécessairement passer désormais par la culture aristotélico-thomiste pour vraiment comprendre l’Evangile. Ce qui est valable pour l’Occident, ne l’est pas de la même manière pour les autres cultures. 

• Dans Jean 6, le Christ n’a pas eu besoin d’utiliser le mot « transsubstantiation » pour parler de son corps comme vraie nourriture et de son sang comme vraie boisson. Et pourtant ses interlocuteurs avaient très bien compris. La preuve, c’est qu’ils sont partis. Je trouve « ceci est mon corps, ceci est la coupe de mon sang » beaucoup plus clair que transsubstantiation. Et puis, comme vous le savez, un mot, et surtout un mot fabriqué de toutes pièces, ne s’explique valablement que dans son contexte. Et tout dépend de la définition qu’on donne à ce mot. Parfois, le même mot, dans des aires culturelles différentes, n’a pas la même signification. 
• Revenons sur la prédominance de la culture gréco-latine en Occident. Elle est surtout le fait de la renaissance néo-païenne et du classicisme (15-18e siècles). La culture du moyen-âge est redevable à de nombreux facteurs desquels les cultures du monde barbare (culture, celte, germanique, franque etc.) ne sont pas absentes. Ainsi la culture gauloise n’a pas été sans influence jusque dans la liturgie latine qui en a conservé des traces. Et surtout il faut accorder à l’Evangile, à la culture Judéo-chrétienne d’avoir, par son originalité absolue-du fait de la révélation-façonné un certain vocabulaire et même une culture occidentale dont l’apogée se situe au 13ème siècle, sans nier les apports des siècles ultérieurs. Beaucoup de notions chrétiennes n’ont pas trouvé dans l’outil gréco-romain les mots adéquats. La notion de personne, telle que nous l’entendons aujourd’hui est une invention de la foi chrétienne ; les notions de pardon et de miséricorde sont absentes de la philosophie d’Aristote et des grecs en général. Les problèmes théologiques, à partir du quatrième siècle, avec ses hérésies, proviennent de la difficulté à concilier philosophie grecque et foi chrétienne. En outre, dans le monde grec et romain, le religieux était totalement intégré dans la cité temporelle. Il y avait confusion entre le sacré et le profane. Et cela s’est vérifié dans la société chrétienne de Constantin. Les empereurs convoquaient eux-mêmes les conciles et définissaient la foi chrétienne : (le césaro-papisme). Il faudra attendre la querelle des investitures (11è siècle) et le Pape Grégoire VII pour qu’enfin l’autorité religieuse se détache du pouvoir politique. Et pourtant Jésus, dans l’Evangile, avait déjà « décrété » de laisser à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Plus simple et plus clair que cela, ce n’est pas possible. Vous ne croyez pas ? 

• Non, Dieu n’a pas besoin d’Aristote pour expliquer aux Africains, aux Asiatiques, aux Amérindiens, ce que Jésus nous a dit avec des mots simples et surtout ce qu’il nous a enseigné par sa vie, ses œuvres, sa mort et sa résurrection : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Non, Dieu n’a pas besoin d’Aristote pour expliquer son amour. Les grands Conciles ont dû définir leur propre terminologie face aux hérésies que j’ai du plaisir à appeler « théologies bancales ». Parmi les Grecs eux-mêmes, les différences culturelles ne sont pas minimes et c’est ce qui a valu à l’Eglise orientale son originalité. Il y a comme un abîme entre la théologie apophatique de Grégoire de Nysse et la théologie occidentale. 

 


La culture africaine se rapproche davantage de la culture Biblique. La vie des patriarches, les interdits alimentaires, le mariage monogamique et polygamique, les psaumes, les enseignements des prophètes sur le pur et l’impur, le permis et le défendu, les divers rites des sacrifices d’animaux, le symbolisme du sang, les esprits intermédiaires ou les messagers divins, les paraboles de Jésus etc. tout cela trouve encore une grande résonnance en Afrique. Nous n’avons pas besoin d’aller à Dieu en passant par la substance et les accidents d’Aristote. Nous pouvons élaborer un discours cohérent sur Dieu à partir de chaque culture. Je vous recommande vivement la lecture de ce petit livre qui n’a rien à voir avec la théologie : « L’Afrique au secours de l’Occident » de Anne-Cécile ROBERT, Les Edit. de l’Atelier, Paris 2006. Relisez aussi les Actes des Apôtre 15. Le problème c’est qu’on est paresseux. Et au lieu de chercher, on décrète la supériorité intellectuelle grecque, en oubliant que Dieu est un mystère et donc intraduisible. Il sera toujours le Tout Autre. 
La Révélation, nous le savons, est inséparable de l’incarnation et de son corollaire, l’histoire du salut. L’Afrique a reçu la foi dans un certain contexte, par le biais des missionnaires marqués par la culture occidentale du dix-neuvième siècle. Malheureusement, cela a coïncidé avec le colonialisme qui faisait « tabula rasa » de tout ce qui était « nègre ». Cela fait partie de notre histoire. On ne peut pas faire autrement. Il nous reste maintenant, avec la grâce de Dieu, à nous approprier la Bonne Nouvelle du salut, sans nécessairement adopter tous les vêtements par lesquels elle était revêtue quand nous l’avons reçue. C’est cela l’inculturation. Et Jésus veut s’incarner dans chaque culture, dans la culture africaine. Alors l’Afrique apportera sa couleur, son art, ses symboles, son rythme, sa pierre de construction, bref ses richesses pour continuer de féconder la culture chrétienne. Car aucune culture à elle seule, ni même toutes les cultures du monde entier additionnées, n’exprimeront jamais totalement ce Dieu qui nous a sauvés en mourant sur la croix. 

Cette question est évidemment liée à la précédente que j'ai posée. J'ai appris que dans une île du Pacifique où les ovidés ne sont pas connus et / ou appréciés comme en occident, le cochon jouit d'une image positive. Le clergé local a donc décidé de traduire l'Ecce Agnus Dei par : « Voici le Porc de Dieu ». 

Une telle expression me choque, mais en même temps je me dis : il y a là une certaine logique ; si la foi chrétienne dans sa version occidentale n'est en rien normative et doit être repensée et traduite dans la culture des autres peuples, pourquoi pas ? 

Qu'en pensez-vous ? Et si une telle pratique vous paraît acceptable, pourquoi en Afrique ne pas célébrer la messe avec du riz, ou du manioc et une boisson locale ? Où doit-on placer les limites de l'inculturation ?
 

Ici, on pourrait faire appel à la formule latine « mutatis mutandis ». Il y a des choses qu’on peut changer et d’autres non. Je ne peux pas changer le nombre des personnes de la Sainte Trinité ni même le nombre des sacrements. Je ne peux pas changer la hiérarchie sacerdotale (diacre-prêtre-évêque) ni la foi en l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique. Mais les couleurs des ornements liturgiques, ça peut se négocier ; le noir peut être couleur de fête et le blanc couleur de deuil dans certaines cultures. Les attitudes assises ou debout pendant la liturgie, ça peut varier. Mais on parlera toujours d’un seul Seigneur, d’une seule foi, d’un seul baptême. Les 10 Commandements valent pour toutes les cultures. L’avortement sera toujours un péché très grave. Le Pape, les Evêques ne peuvent rien contre, encore moins les majorités parlementaires. 

• Mais Il faut toujours revenir à ce que le Christ a dit et fait. C’est là le fondement de l’universalité de notre foi. Le Christ est Juif, il a utilisé le pain, on ne peut pas séparer la Foi et l’histoire, ni détacher « le Christ de la Foi » du « Christ de l’Histoire ». En tout cas, je ne me vois pas en train de célébrer l’Eucharistie avec du maïs ou du riz, surtout qu’on trouve aujourd’hui du pain et du vin partout. Bref, l’inculturation doit rester fidèle à ces trois éléments principaux : L’Ecriture Sainte, La Tradition et la Règle de la foi. L’Eglise n’est pas figée. Elle est en marche et doit se réformer sans se défigurer. « Ecclesia semper reformanda ». 

Comment percevez-vous les enjeux missionnaires de la France et que feriez-vous en priorité si vous étiez en charge d'un diocèse chez nous ? 

•  Je bénis le Seigneur pour les missionnaires français qui m’ont annoncé l’Evangile. Il n’y a pas de bien supérieur ni de cadeau meilleur à la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. 

• Si j’étais nommé Evêque d’un diocèse de France, la première chose que je ferais serait de m’agenouiller pour demander à Dieu son aide et sa volonté. Avant toute pastorale, il faut écouter l’Esprit Saint.

Monseigneur, 

je viens de lire l'intégralité de l'entretien donné à la Nef. 
Très intéressant. Plein de bon sens et d'équilibre (avec une réserve : si les intolérants et les fanatiques sont les clercs et les laïcs d'obédience FSSPX, grâce leur soit rendue d'avoir permis ce renouveau dont vous vous félicitez par ailleurs! Je n'en suis pas, mais les faits sont les faits). 

Juste une remarque : 
vous prônez la cohabitation de deux formes. Les deux sont enrichissantes à vos yeux. Soit. 

Mais, voyez-vous, en France par exemple, la forme ordinaire est au pire synonyme d'abus, de folklore, de fantaisie, de thérapie de groupe, de débat-spectacle sur les questions sociétales, au mieux elle est inodore et sans saveur, une ode à l'amour, un amour humain, pas celui de la Vérité qui exige de parler aussi du péché (mortel) et de l'Enfer (pavé de "bonnes" âmes). Je parle de la France des paroisses et c'est tant mieux si l'Afrique en général, le Bénin en particulier échappent à cela. En France, le succès, le dynamisme et la vraie piété de quelques communautés nouvelles, c'est l'arbre qui cache la forêt, l'oasis qui cache le désert ! 

Une ordination sur 4 en France se fait aujourd'hui dans la forme extraordinaire. 
Parlons perspectives. Rendez-vous dans 10, 15, 20 ans : le catholicisme français sera sauvé par la messe en forme extraordinaire et, je dirais, la pastorale qui va avec. 

Je ne dis pas "vive nous!" (vous avez deviné où va ma sensibilité), mais je dis : c'est ainsi ! C'est la réalité objective du catholicisme occidental en 2009. 
Et je suis tenté d'ajouter : cherchez l'erreur ! 

Et même : tirons-en les conséquences ! 

Concernant la France, l'Europe, nous avons des années de retard sur vous : la parité, la cohabitation des deux formes, n'est pas encore la norme ; ça reste l'exception, même si le MP a donné de l'oxygène en certains diocèses. 
Là aussi, soyons franc : la parité engendrerait vite une inversion du rapport entre les deux formes, le peuple chrétien ayant besoin de silence, de mystère et de solennité qui ne heurte pas le bon goût. "Vox populi ..."
 

• Je continue de croire que les deux formes (ordinaire et extraordinaire) peuvent cohabiter pacifiquement et s’enrichir mutuellement. Tout dépend des hommes qui les célèbrent. Les rites seront toujours imparfaits, c’est notre foi, notre vie intérieure, notre manière de célébrer qui doit les « rendre parfaits ». Tous ceux qui célèbrent dans la même forme extraordinaire ne s’entendent pas. C’est la preuve que ce sont nos cœurs qui sont malades. Vous parlez de la situation en France que je ne maitrise pas. Mais si l’on regarde les choses sur le plan des chiffres, analyse de type sociologique, on peut toujours répliquer que le christianisme en Afrique occidentale, le clergé autochtone surtout, s’est développé depuis les cinquante dernières années, et ceci à la faveur du Concile Vatican II et de ses réformes. C’est le rite de Paul VI que nous célébrons presque partout. Et ça marche. N’accusons pas injustement un rite. 

• En termes clairs, à propos de la forme ordinaire du rite latin, il faut distinguer entre le rite lui-même et la manière dont il est célébré. Il ne faut pas non plus généraliser les abus ; ils existent, ils sont regrettables, mais ils ne sont pas, loin s’en faut, la majorité. Et puis, si vous lisez les trois messes basses d’Alphonse Daudet, dans « Les lettres de mon moulin » vous verrez que les abus sont possibles aussi dans le rite ancien. Tout dépend de la spiritualité du prêtre et de l’assemblée. Le rite est un instrument. Et un proverbe dit bien « qu’il n’y a pas de bon outil pour un mauvais ouvrier ». Soyons de bons ouvriers et nous saurons utiliser les instruments, les deux formes que l’Eglise a mises entre nos mains.

Ayant dernièrement assisté à une messe dans le rite ordinaire dans ma paroisse francçaise animée par une chorale togolaise, j'en suis revenu particulièrement dubitatif quant à l'intérêt d'utiliser les rythmes africains dans le cadre liturgique, du moins dans les pays occidentaux. 

En effet, très sympathique d'un point de vue humain, car très entraînante et ponctuée de balancement des corps et autres déhanchements, la musique était assourdissante, avec des chants qui ne l'étaient pas moins. 

Résultat : tout le monde était tourné vers la "chorale", qui monopolisait les attentions, et tout l'offertoire et la consécration, et la communion, se sont retrouvés eclipsés par la convivialité humaine. Impossible dans ces conditions de se recueillir et de prier ; de l'autre côté, dur de ne pas se laisser entraîner dans cette forme d'excitation collective, surtout qu'elle nous manque désormais en France, où le lent labourage des siècles chrétiens nous a appris à être plus mesurés. 

Bref, Dieu était tout sauf central, c'était du moins mon impression... 

Qu'en pensez-vous ? 

Plus précisément, jusqu'où doit aller l'inculturation, et ne peut-on dire que le christianisme s'est acculturé en Occident, en se coupant de ses racines, devenant ainsi un radeau ivre, qui n'est plus attirant pour nos contemporains, qui préfèrent ainsi se tourner pour quelques uns vers les sectes, pour la plupart vers l'indifférentisme individualiste ?
 

• Une inculturation liturgique qui ne favorise pas notre union à Dieu c’est du folklore. Les rythmes africains, je les aime. Mais il faut les travailler avant de les introduire dans la liturgie. Ce n’est pas le rite qui prescrit le bruit et le défoulement, mais les personnes peu portées au recueillement, au silence sacré, au mystère, à la dignité de la célébration elle-même. Chez les moniales cisterciennes de Parakou, on utilise le tam-tam, et c’est divin. J’ai dû écrire une plaquette, « Le ciel sur la terre » pour aider les chorales à distinguer les chants d’animation religieuse du chant sacré liturgique.

En Occident, on peut distinguer deux camps épiscopaux dans la défense de la Vie : 
- les Etats-Unis d'Amérique, l'Espagne, de plus en plus cohérents en la matière 
- la France, la Belgique, l'Allemagne (même si des exceptions existent) qui donnent parfois l'impression de collaborer (pour la France, voir la passivité en 1975 sur la loi IVG, voir le Livre noir des évêques de France pour la période actuelle). 

Et au milieu, coule une rivière ... d'épiscopats "neutres". 

Et en Afrique ? Au Bénin ? La loi naturelle est respectée et ça suffit ? La bioéthique est-elle un thème à la mode chez les hommes politiques et dans les médias ? Les manipulations génétiques, l'euthanasie, sont-elles dans le débat ? L'action de l'Eglise, de ses cadres, dans tout ça ? 


• En Afrique, nous sommes sérieusement confrontés au problème du relativisme moral. Cela concerne surtout l’avortement et la contraception. Les déclarations épiscopales ne manquent pas en la matière. Mais est-ce qu’on nous écoute ? Dieu lui-même parfois s’en plaint. « Ah, si mon peuple m’écoutait ! … »

Un collègue de travail originaire du Cameroun, 40 ans, élevé chez les missionnaires, me rapporte une chose troublante au sujet de l'Afrique. 

Il m'indique qu'au sujet de la confession, il y a eu pendant très longtemps, dans de nombreux pays du continent, une défiance des fidèles, en raison de la collusion (c'est ce qu'il me dit) entre les prêtres et les autorités françaises ou belges. 
Il me rapporte l'arrestation de nombreux opposants au "pouvoir colonialiste", dénoncés par "L'Eglise"... 

J'ai tendance à penser que le phénomène, s’il a existé, est assez marginal. J'aimerai savoir, si vous avez connaissance de telles choses, non pour polémiquer, mais par ce que j'aime l'Eglise et je ne peux croire de telles choses... 

Cela résulte t'il d'une propagande marxiste des années 70 ? 


• Je n’ai eu aucune connaissance de tels faits qui, s’ils ont existé, sont plus que regrettables. Au Bénin, les missionnaires ont eu plutôt à souffrir des administrateurs coloniaux francs-maçons qui ne voulaient pas des écoles catholiques. Le peuple africain a canonisé tous ses missionnaires ou presque tous. Jusqu’aujourd’hui il y a une grande confiance envers le missionnaire venu d’Europe.

Que ce soit en Afrique ou en France, les sectes d'inspiration chrétienne exercent une forte attraction envers les communautés africaines. Il faut reconnaître que leur propagande est dynamique et efficace et que malheureusement de nombreux fidèles se tournent vers elles. 
C'est très grave car il en va du salut des âmes. 
En région parisienne, les murs sont couverts d'affiche pour ces assemblées. 

A votre avis, quels sont les moyens que possède l'Eglise Catholique pour garder les croyants auprès d'elle? 


• Il y a eu très tôt des sectes dans l’Eglise. Et il y en aura jusqu’à la consommation des siècles. St Irénée a même écrit qu’il faut qu’il y ait des hérésies. C’est l’ivraie à côté du bon grain. L’Ennemi en est la cause. Le mensonge attire plus que la Vérité. Ou si vous voulez, la Vérité n’attire pas les foules. Le message évangélique est exigeant. Et beaucoup se laissent tromper par des bonimenteurs qui évacuent de l’Evangile la croix. A la place, on met la vie facile et la mystification spirituelle à bon marché. Les plus habiles s’improvisent prophètes, guérisseurs, distributeurs automatiques de réussite et de bonheur matériel et financier. Avec eux, on obtiendrait tout ce qu’on voudrait et de façon instantanée... Les naïfs sont très nombreux sur cette terre. Ce sont eux qui contribuent à l’enrichissement rapide de ces pasteurs et gourous sans scrupules. 

Quelle pastorale doit-on mettre en place en France et en Afrique? 

• Que faire ? Il n’y a pas de solutions toutes faites. La pastorale de proximité, reposant sur une amitié effective avec Jésus-Christ, faite de solidarité réciproque, de témoignage communautaire et de conviction personnelle, l’insistance sur l’appartenance à la seule Eglise que Jésus a fondée peut aider. Les sectes, au Bénin, n’ont pas toutes le même visage. Et elles ne sont pas des copies conformes des sectes qui sont en Europe. En général, elles s’organisent en petits groupes chaleureux où les membres sont connus et facilement adulés. Elles s’intéressent beaucoup aux malades, aux désespérés, aux angoissés, qu’ils soient de leur bord ou non. On leur promet des prodiges, comme je viens de dire. Mais il y a très peu de vérité et de liberté dedans…Dans mon diocèse, on travaille de plus en plus à la pastorale des familles, à l’évangélisation des petites communautés chrétiennes dans les quartiers. Les Actes des Apôtres nous en donnent l’exemple. On soigne nos prédications et on veille à ce que nos liturgies manifestent le mystère de Dieu présent dans la vie de chaque personne. Puis, nous essayons de convaincre notre peuple que nous possédons les trésors qu’aucune secte ne possède : la sainte Présence eucharistique, la Sainte Vierge Marie et l’unité autour du Pape (les trois blancheurs). La vie intérieure dans l’Esprit, l’union à Dieu par Jésus-Christ, est la base de l’Evangile. Or, notre monde est tout extériorité, bruit, tapage, course effrénée pour l’argent, le pouvoir, le sexe etc. Certains sont vite déçus chez les sectes et reviennent vers nous... Chaque année, en effet, on observe ce mouvement de retour de chrétiens vers l’Eglise catholique. Enfin, il faut que nous arrêtions de nous opposer les uns aux autres et de nous critiquer méchamment à l’intérieur de l’Eglise. Le Pape Jean-Paul II disait au début du millénaire : « Faire de l’Eglise la maison et l’école de la communion : tel est le grand défi … Avant de programmer des initiatives concrètes, il faut promouvoir une spiritualité de communion » (TMI 43). Nos divisions affaiblissent l’Eglise. Sa faiblesse favorise l’extension des sectes. Et Satan jubile.

Plus particulièrement au Bénin comment se porte l'Eglise Catholique ? 
Il se trouve qu'un de nos fils de 16 ans partira à Cotonou 2 semaines en Avril prochain dans le cadre d'un partenariat entre son école et l'internat Père Aupiais pour une mission humanitaire. Nous avons entendu dire que le sud était plus pratiquant que le nord, pouvez-vous confirmer ? 


Comment se porte l’Eglise catholique au Bénin ? Seul le Christ qui sonde les cœurs et les reins peut répondre à cette question sans sourciller. En peu de mots, je dirais que nous sommes favorisés par la religiosité populaire. La réalité de Dieu est dans les conversations et on croit discerner sa présence dans les événements de chaque jour. Mais l’enracinement de la vraie foi en Jésus-Christ mort et ressuscité n’est pas toujours visible. Oui selon moi, les réflexes de chrétiens prêts au martyre, prêts à mourir par amour pour le Christ et l’Eglise, ça ne se voit pas beaucoup. Ne nous faisons pas d’illusion. 
Je confirme que le Sud Bénin qui a reçu l’évangile 80 ans avant le Nord est plus pratiquant ; et comme il est plus peuplé, ça se voit qu’il y a beaucoup plus de chrétiens. Mais dites à votre fils, que pour avoir une vision globale du Bénin, ce serait bien qu’il visite aussi le Nord.

Vous avez travaillé longtemps dans la diplomatie vaticane. 
Pouvez-vous nous dire ce qui vous a le plus marqué dans cette partie de votre vie? 
Et nous faire part de ce que cette expérience vous apporte dans l'exercice de votre actuel ministère ? 


Ce qui m’a le plus marqué dans le service diplomatique du Saint-Siège c’est l’amour fidèle de tant de personnes envers le Saint-Père et l’universalité du salut, dans le respect de chaque culture. L’Eglise de Jésus-Christ est unique au monde. Elle est « belle comme une épouse parée pour son époux ». Elle vient d’en haut et elle existe pour servir de trait d’union entre Dieu et tous les peuples, en ouvrant les bras à tout le monde. C’est l’instrument privilégié de salut pour l’humanité. Le Pape nous en donne l’exemple tous les jours. 
En Afrique, nous avons souvent des problèmes d’ordre ethnique. Et c’est providentiel que Dieu m’ait préparé à aimer toutes personnes, tous les peuples de tous les continents en me permettant cette expérience dans les services du Saint-Siège, dépendant de la Secrétairerie d’Etat. 

Votre diocèse étant jumelé avec celui d'Aix en Provence, vous avez été conquis par les moniales bénédictines de Jouques lors d'une visite à leur abbaye. Et vous les avez conquises à votre tour puisqu'elles ont accepté de faire une fondation dans votre diocèse à Péporiyakou. 
Quel avenir pour cette fondation ? 
Mais surtout qu'en attendez-vous, pastoralement, pour les fidèles et les prêtres de votre diocèse ? 


• Comme vous le savez, il ya un jumelage entre les diocèses d’Aix en-Provence et Natitingou depuis un bon moment. Et cela a préparé mes liens avec ce monastère, que je considère comme le fruit le plus spirituel et le plus précieux de nos échanges fraternels. Les moniales de Jouques (Aix-en-Provence), sur ma demande, sont arrivées au Bénin en 2005, grâce au courage et à l’ouverture d’esprit de Mère Abbesse Gabriel de TRUDON, et aussi grâce à la foi en l’Absolu de ses bénédictines contemplatives. Le Cardinal B. GANTIN n’a pas manqué de s’engager dans cette « aventure » avec nous par ses encouragements et sa bénédiction. Elles se sont d’abord installées à Perma (20kms de Natitingou) dans des bâtiments provisoires sans prétention, et ceci dans le but de s’acclimater à tous points de vue. Le courant est bien passé avec les paroissiens et les hôtes de passage. Depuis 2007, elles sont chez elles à Pèporiyakou, à 8 kms de Natitingou. Le monastère continue de se construire. Il est tout modeste à l’image des peuples de notre région. Il n’y a pas encore d’aumônier, mais une vingtaine de prêtres et moi-même sommes heureux de donner un coup de main à nos Mères. Chacun son tour et ça se passe très bien. Elles nous aident à goûter de l’intérieur la beauté de Dieu dans les liturgies célébrées en français et en latin, que ce soit dans la forme ordinaire ou extraordinaire. Leur chant grégorien est apprécié de tous et a vraiment quelque chose de divin... 

• Quel avenir pour cette fondation ? Seul le Seigneur le sait. J’ai voulu cette fondation pour être un pôle d’attraction qui révèle la primauté absolue de Dieu pour les prêtres, les consacrés, les séminaristes, les catéchistes, les paysans, les jeunes, les enfants, les non chrétiens qui sont encore nombreux par ici, oui un pôle d’attraction pour tout ce monde. J’attends de ce monastère qu’il soit un rayonnement spirituel et liturgique pour tous et pour moi-même, une référence et un soutien en matière de saintes traditions chrétiennes, un lieu de halte spirituelle, bref un haut lieu saint pour la sanctification de tous. Confions cela à la Sainte Vierge Marie, Notre-Dame de l’Ecoute, si docile à la voix de l’Esprit Saint. Déjà une novice et une postulante de couleur locale, je veux dire béninoises ! Elles se sont laissées séduire par cette vie contemplative et ont rejoint cette communauté de huit moniales françaises, jeunes, humbles, simples et enthousiastes. La construction de l’église est envisagée prochainement, l’exploitation du terrain continue dans un bon rythme. Et déjà tout le diocèse célèbre avec les hosties faites dans ce monastère que nous affectionnons tant.

Au Bénin tous les séminaires, "grands" et "petits", dépendent de la conférence des évêques. 
Au sein de cette conférence, vous êtes plus particulièrement chargé du suivi des séminaires. Et les prêtres béninois exerçant un ministère en France sont généralement très appréciés pour leur zèle pastoral et leur attachement au Saint Père. 

Pouvez-vous nous dire un mot au sujet des vocations dans votre pays et de la façon dont l'Eglise les soutient ? 
Quelles sont vos préocupations majeures à cet égard ? 
En particulier, qu'en est-il de la formation au latin et à la liturgie en cette langue dans les séminaires ? 


Le sujet des séminaires est un long chapitre. Chaque diocèse s’organise à sa manière pour l’éveil des vocations auprès des enfants et des jeunes, à travers la prière, la pastorale dans les familles et les divers mouvements catholiques qui existent sur nos paroisses. A Natitingou par exemple, dans chacune de nos paroisses, il y a une organisation, une commission qui réunit les aspirants une ou deux fois par mois pour la prière, un échange et un entretien spirituel. Les Samuels, entendez les servants d’autel, sont les plus ciblés. Ils sont nombreux. Il y a un accompagnement spirituel pendant deux ou trois ans. Un discernement assez sérieux est fait avant le test écrit pour l’entrée au Petit Séminaire. Il un y a un prêtre qui coordonne tout cela au niveau diocésain ; il est en lien avec les Recteurs des Séminaires du Bénin. 
Mes préoccupations majeures sont de deux sortes : Les Petits séminaires ne sont pas subventionnés et nous reviennent trop cher. Le pouvoir d’achat des parents étant trop bas, nous sommes obligés de ne pas accueillir tout le monde. Nous en souffrons. Car de sérieuses vocations se perdent faute de moyens financiers. Mais nous nous organisons. En outre les places sont limitées. Il faut toujours agrandir. C’est la période des vaches grasses. Louons et bénissons le Seigneur. 
Une autre préoccupation est l’accompagnement spirituel. Nos prêtres sont très jeunes et n’ont pas toujours la compétence requise en ce domaine. Mais nous avons commencé avec l’aide des Pères Sulpiciens à y penser sérieusement. 
Quant à la formation au latin, Dieu merci, à Natitingou nous avons le Père Bernard Pellabeuf. Les autres séminaires ont plus de mal que nous. Mais nous avons un projet d’avenir là-dessus. 
La messe en latin est célébrée une fois par semaine au séminaire, soit par moi, soit par un Père du Séminaire. Les Bénédictines ont commencé à donner des cours de chants en grégorien sur notre demande. Rendons grâce à Dieu.

Trop de séminaristes en Afrique ? C'est parfois ce que j'entends dire, au point que l'on ne sait trop qu'en faire. 

Les mauvaises langues, en France, pour qui le prêtre ne sert plus à rien, vu que depuis quarante ans, nous "sommes parvenus à une foi adulte", les laïcs pouvant très bien jouer le rôle que "monopolisait avant les prêtres", disent par ailleurs parfois que ce sont des vocations sociologiques, cela faisant bien d'avoir un fils prêtre dans vos pays où la religiosité est forte... 

Pouvez-vous nous répondre là-dessus ?
 

• Oui, il y a certainement trop de séminaristes par rapport à nos réelles capacités d’accueil. La formation coûte trop cher. Mais il n’y en a pas suffisamment pour les besoins de l’Afrique et du monde entier... Car la population africaine semble croître trois fois plus vite à mesure que le nombre de vocations grandit. 

• Vocations sociologiques ? Seul Dieu peut le dire. Le facteur sociologique peut parfois jouer. Comment d’ailleurs regretter qu’une société ait le sens religieux et connaisse la valeur du prêtre ? Ce n’est pas négatif. Quelle en est la cause ? L’Eglise Catholique, par ses pasteurs et ses religieuses, est souvent le défenseur fidèle et le plus proche. En plus, vue des pauvres. Le prêtre est une autorité spirituelle sensible aux misères de tous, et comme tel il jouit d’un RESPECT CERTAIN. En France comme en Afrique, beaucoup pensent que le prêtre est riche. La réalité est autre. Très peu de prêtres sont riches. Dans la majeure partie du Bénin, si le prêtre (Bac +8) est reconnu au plan du statut social, son statut matériel, surtout dans le Nord Bénin, demeure très inférieur à celui que peut prétendre un homme d’une formation équivalente. Aussi n’est-il pas rare de voir des jeunes aspirants ou séminaristes abandonner leur vocation après un Bac reçu avec mention, qui leur ouvre des portes beaucoup plus alléchantes que la vie d’un prêtre en brousse, comme on dit ici ! Et là la vocation est authentique.

Monseigneur, vous pourfendez l’ « occident anticatholique » dans votre lettre pastorale de Juillet 2009. Je comprend et partage cette analyse, mais n’y a-t-il pas dans l’Église d’Afrique un ressentiment plus général envers l’Europe dont a témoigné la « grève » des prêtres en Centrafrique qui entendaient protester contre ce qu’ils appelaient « néocolonialisme religieux » alors que Notre Très Saint Père avait décider de changer avant l’âge de la retraite Mgr. l’Archevêque de Bangui, originaire du clergé séculier local, pour le remplacer par un religieux formé en Europe ? De même, les évêques africains ont été en même temps (je pense à Monseigneur l’Archevêque de Dakar qu’on a vu à la télévision française) à la fois admirables et très durs dans leur condamnation de certains évêques européens qui s’étaient désolidarisés de Notre Très Saint Père suite à Ses déclarations dans l’avion qui le menait au Cameroun. Y a-t-il aujourd’hui un divorce entre l’Église qui est en Europe, qui fait ce qu’elle peut avec ce qu’elle a comme faibles moyens et se compromet parfois avec la situation de l’Europe, et l’Église qui est en Afrique qui, radieuse de son dynamisme et de ses nombreuses vocations est dans une meilleure situation pour annoncer l’Évangile sans compromission ? 

Monseigneur, beaucoup disent que l'épiscopat africain a appuyé fortement le passage de la Sainte Messe aux langues vernaculaires car cela raccourcissait la formation de Prêtres, permettant de subvenir plus vitre aux besoins criant des Églises d'Afrique, et donnait un caractère national à des Églises d'implantation récentes. Pourtant vous dites dans La Nef que l'Afrique n'avait pas vraiment besoin de la réforme, le Catholicisme y étant d'implantation récente; ces 2 thèses sont elles conciliables? 

Monseigneur, l'introduction de caractères proprement africains dans la célébration de la Sainte Messe, parfois contraires à ce qui ce fait et s'est toujours fait ailleurs (danses...) ne porterait-il pas atteinte au caractère universel de l'Église? 

Monseigneur, que pensez-vous de l’envoi de prêtres africains en mission dans les pays d’Europe ? Certains y voient un beau symbole d’une évangélisation de l’Europe par l’Afrique en retour de ce qui s’est fait aux XIX et XXe siècles, mais est-ce que cela ne conduit pas à vider dans une certaine manière l’Église d’Afrique de ses forces vives dont elle a besoin pour entretenir des communautés paroissiales mourantes ? Votre diocèse contribue-t-il à ce mouvement ? 

Monseigneur, rencontrez vous dans votre apostolat admirable les mêmes difficultés que les Évêques des premiers temps de la Chrétienté, à savoir la persistance du culte des idoles (notamment le vaudou institutionnalisé par Nicéphore Soglo), le problème des apostats voulant revenir à l’Église, et certains assouplissements de la discipline ecclésiastique chez quelques Prêtres ? Quelles sont vos méthodes missionnaires, que prescrivez-vous à vos Prêtres dans de tels cas ? 

Monseigneur, il est très à la mode en Europe de faire du « dialogue inter-religieux », particulièrement avec les musulmans. J’ai lu dans La Nef vos propos sur la bonne entente entre musulmans et Chrétiens dans votre diocèse, c’est une sorte de dialogue, mais les Église d’Afrique promeuvent-elles les échanges doctrinaux avec les musulmans? Parler de théologie avec des musulmans sans essayer le moins du monde de les convertir ni de dénoncer la fausseté de leurs positions ne serait pas une trahison de la prescription de répandre l’Évangile ? 

Monseigneur, existe-t-il dans les Églises d’Afrique une version locale de la « théologie de la libération » qui a fait tant de dégâts dans les Églises d’Amérique Latine ? Votre « théologie de la responsabilité » ne serait elle pas aux antipodes de cette théologie néfaste qui rend une partie du peuple responsable des malheurs de l’autre et prêche le conflit de classes et la violence pour obtenir ce que l'on estime être son dû ? 

Monseigneur, pensez vous qu’il serait souhaitable que le prochain Souverain Pontife ne soit pas européen ? 

Monseigneur, vous dites dans La Nef que les Églises d’Afrique ont encore besoin de l’Europe, mais qu’est ce que l’Église de France, par exemple, déclinante, pourrait apporter à une Église bien plus dynamique, pleine de Foi et de vocations ? 

Monseigneur, comment encourageriez-vous un candidat au séminaire en Europe, apeuré par la situation de son Église et qui se demande ce que l'avenir lui réserve si sa vocation se détermine? 


• On ne peut pas nier que les blessures du colonialisme ne soient pas encore bien cicatrisées chez certains Africains. Et l’affaire de Bangui a été peut-être instrumentalisée par des nationalistes qui ne pouvaient plus accepter qu’un Evêque Blanc soit leur chef et leur pasteur. C’est difficile à juger. Car en règle générale, en dehors de quelques murmures contre certaines nominations d’Evêques, les Africains sont très soumis aux instructions du Saint-Père. 
• Pour la question du vernaculaire, il est exact que l’épiscopat africain a appuyé l’introduction des langues vernaculaires tout d’abord dans le rituel (années 50), puis dans la messe, sans exclure le latin qui est resté très présent en de nombreux pays d’Afrique. En effet, la première partie de la Sainte Messe, la liturgie de la Parole s’adresse au Peuple de Dieu. C’est bien normal que le peuple saisisse ce que l’Esprit dit à son Eglise. Dieu a toujours voulu parler le langage des hommes pour se faire comprendre. Mais pour la deuxième partie qui concerne le Saint Sacrifice à proprement parler, c’est différent. 
• Venons-en à Mgr Lefebvre, qui fut à un moment donné à la tête de l’épiscopat de l’Afrique de l’ouest. Il était de ceux qui prônaient l’introduction des langues vernaculaires et, au Concile Vatican II, il s’en fit le défenseur, surtout pour la première partie de la messe comme je viens de vous le dire. Pour ce qui est des autres particularités comme les danses ou le tam-tam, il faut distinguer. Tout comme il y a une musique religieuse et une musique profane, il peut y avoir danse sacrée et danse profane. La tradition copte catholique en est un vénérable témoin, la danse n’est donc pas contraire à ce qui « s’est toujours fait ailleurs » ! Le tam-tam lui-même est varié, il y a des rythmes religieux et sacrés et d’autres non. Ce qui compte, c’est le caractère sacré du chant : rythme, mélodie et paroles etc. Je continue de soutenir que ce n’était pas nécessaire pour l’Afrique de toucher à la partie sacrificielle de la Sainte Messe du missel de Jean XXIII. 
• St Paul nous dit : Le corps forme un tout, il a pourtant plusieurs membres. L’unité n’exclut pas le multiple. On parle bien de l’unité dans la différence. Souvent nous oublions que c’est le même Dieu qui a créé tous les peuples avec les différences qu’ils ont. L’Eglise a horreur de l’universalité qui est homogénéité ou uniformité. Les buchettes bien rangées dans une boîte d’allumettes, ce n’est pas l’unité. Tout est pareil et rien ne bouge ni évolue. Mais si les éléments différents et nouveaux qu’on introduits sont contraires à la foi de l’Eglise ou à son caractère universel, oui, il faut les exclure. Ce qui est perversion, souillure, dépravation est contraire à l’unité. 
• Les prêtres africains en mission ? C’est une bonne chose. Mais cela crée des problèmes de part et d’autre. Du côté européen, on a peur que les Africains prennent la place, on a peur de partager avec eux, on a peur de manquer de l’essentiel : du moins c’est ce qu’il nous semble. Et on nous humilie. Nous sommes assimilés aux immigrés, aux sans papiers qui n’ont rien à manger chez eux et traités comme des gens de seconde zone. Il y a du mépris vis-à-vis de nous. Ne nous cachons pas la vérité. Moi-même j’ai eu à subir des affronts dans des services diocésains parce qu’on croyait que je venais mendier quelque chose. Mais n’exagérons pas. En général on est bien reçu surtout dans les familles, par les laïcs, des communautés religieuses, et des prêtres amis. Du côté africain, ces départs pour l’Europe ne sont pas toujours de vrais envois en mission. C’est à spiritualiser et à mieux discipliner. Il faut que ce soit sous la poussée de l’Esprit de Pentecôte. Pierre et Paul n’ont pas attendu que la Palestine n’ait plus besoin d’apôtres avant d’aller à Rome. Plus on donne, plus on reçoit. « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement ». L’Afrique ne se videra pas de prêtres parce qu’elle est généreuse. Cette peur n’est pas justifiée du tout. En tout cas, l’Eglise qui n’est pas missionnaire s’étiole et meurt, faute de souffle et d’épanouissement. Un petit constat : les Instituts religieux européens qui n’ont pas le sacrifice d’aller en mission manquent de vocations aujourd’hui. 
• Dans le nord Bénin, il n’y a pas de vaudou. La religion traditionnelle africaine n’est pas aussi virulente qu’au sud. Nos populations actuellement, sont attirées par Jésus-Christ. La moisson est mûre pour le catholicisme. Pour ce qui est de l’assouplissement de la discipline ecclésiastique - vous faites peut-être référence au respect du célibat - comme en tout clergé, qu’il soit occidental ou africain, et l’actualité nous le prouve tristement, il y a des défaillances. La chair est faible, nous le savons, Dieu aussi le sait. Mais n’oublions pas que « là où le péché a abondé la grâce a surabondé ». Les échecs ne doivent pas faire jeter l’opprobre sur le corps tout entier. Il y en a qui cherchent à vivre la vie ecclésiastique dans des conditions souvent bien difficiles ! Ne faisons donc pas de la surenchère à partir de quelques défections. Que ceux qui se sentent forts portent l’infirmité des faibles (Ro 14 et 15), ne serait-ce qu’en priant pour eux. 
• La méthode missionnaire ? Etre proche du peuple, de ses aspirations, vivre l’Evangile et aider le peuple à découvrir l’amour sans limites de Notre Dieu. Le dialogue, qui est d’abord un respect et une compréhension mutuels, ne nuit en rien à l’évangélisation. Le Christ n’impose pas son message. Il nous appelle en disant : « Si tu veux, viens et suis-moi ». La théologie de la libération n’a pas eu de place chez nous. Par contre, nous avons besoin de développer la théologie de la responsabilité pour sortir du climat de victimisation, du fatalisme, de la résignation qui paralyse ou tout au moins freine notre élan. Je voudrais que les Africains aient plus de foi et plus d’enthousiasme que tous les peuples. Rien de grand, de beau et de durable ne se fait sans passion. 
• Le prochain Pape sera l’évêque de Rome : européen, africain, asiatique, australien ou américain. Cela importe peu. Celui que l’Esprit Saint nous donnera sera le bienvenu, et il faudra l’écouter et suivre ses enseignements. Pas de politique partisane à ce niveau. 
• Oui, nous avons encore besoin de l’Europe car c’est de là qu’est venue la lumière de l’Evangile pour nos contrées. Nous avons besoin du trésor de votre longue tradition spirituelle qui, a animé quinze siècles de christianisme, même si elle semble couverte par la cendre aujourd’hui. 
• Un candidat au séminaire apeuré ? Pourquoi ? Qu’il tombe amoureux de la Vierge Marie. Et qu’il se souvienne constamment cette phrase de Jésus : « J’ai vaincu le monde ». Notre Sauveur n’a pas été un déserteur. 

Que pensent les évêques africains du mépris dans lequel sont tenues - hélas - les populations africaines catholiques installées en France, si l'on songe que les documents du Magistère pour la pastorale des migrants y sont ignorés, uniquement pour les Africains ? Est-il normal que l'Afrique soit le seul continent pour lequel l'instance de coordination de la CEF indique qu'il n'y a AUCUNE structure pastorale spécifique ? 
Pourtant la CEF produit de nombreux discours sur la migration et les migrants bizarrement, sans se soucier des catholiques africains. Il est bien d'encourager à la connaissance de l'Autre musulman mais si c'est pour ne rien faire pour son propre frère venu d'Afrique... 
Les évêques d'Afrique, particulièrement des pays autrefois liés à la France, n'ont-ils pas à rappeler - collectivement -, dans les formes les plus appropriées, à leurs confrères français (et européens) que ces catholiques existent, qu'ils ont des besoins spirituels propres et pourraient apporter plus à la vie de nos diocèses s'ils étaient pris en compte réellement comme le réclame Erga Migrantes Caritas Christi ? 


• La Conférence Episcopale de France fait beaucoup pour les prêtres et religieux africains à travers son service de la mission universelle. Pour le reste je ne sais pas. 

Enseignant d'une Faculté de Théologie catholique qui accueille chaque année un nombre conséquent d'étudiants africains (souvent clercs ou séminaristes), je suis frappé par leur désir d'apprendre, de leur extrême bonne volonté en dépit des grosses difficultés culturelles et matérielles. 
Mais la plupart sont peu armés, voire pas préparés du tout, à se confronter aux théologies occidentales dissidentes, parfois carrément hétérodoxes par rapport au Magistère romain. Plutôt que d'enrichir leur réflexion doctrinale et pastorale par une fréquentation habituelle avec la Tradition et le Magistère, il y a souvent - pas toujours - une fascination pour l'hétérodoxie qu'ils ont tendance à assimiler à la "modernité" religieuse dont nos Églises malades ou mourantes d'Europe seraient porteuses, comme l'a encore dit la cardinal Danneels récemment, se croyant en mesure de donner des leçons à ses confrères d'Afrique. 
Je précise que cette malheureuse fascination n'est pas invicible chez les clercs africains : la grande majorité ont, en arrivant, l'amour de l'Église et celui de Rome et ne demandent qu'à s'abreuver aux bonnes sources. 

Comme je suis convaincu que l'Afrique noire est un lieu décisif pour l'avenir du catholicisme au XXIe siècle, j'aimerais savoir ce qu'un évêque pense de cet état de fait. N'y-a-t-il pas une carence dans la formation initiale en Afrique de ces prêtres qui les rend plus vulnérables à l'hétérodoxie répandue en Europe et leur fait perdre leur sens critique à l'égard des lectures déviantes et des pastorales inspirées par des principes qui ont conduit, chez nous en Europe, à un échec patent ? 
Les échanges de clercs, spécialement des Africains venant en Europe, sont essentiels et contribuent à unir l'Eglise, c'est pourquoi l'enjeu me semble important. 


• Pour les étudiants clercs ou séminaristes africains en France : Oui, malheureusement, la modernité fascine, le relativisme aussi. La théologie africaine cherche encore son expression au sein de l’universalité catholique. Chaque peuple exprime, avec son génie propre, la même foi. Il suffit de voir la variété de l’expression de la foi en Europe (Allemagne, Italie, Espagne). Sans tomber dans le fidéisme, je crois qu’il faut croire plus en l’amour de Dieu qui sauve plutôt que de s’embarquer allègrement dans la logomachie ou gymnastique intellectuelle. On se complique la vie avec cela. Que nos théologies soient plus bibliques, qu’elles s’appuient plus sur les Saintes Ecritures. Le message de Dieu est là. C’est la parole de Dieu qui est efficace et non les théologies. 

La liturgie romaine latine (Forme extraordinaire) fait partie du patrimoine des Églises africaines puisque l'évangélisation du XIX-XXe siècle s'est faite dans cette liturgie. Pourquoi les évêques d'Afrique en général sont si réticents à mettre en valeur ce patrimoine qui leur appartient autant qu'aux Européens ou aux Latino-américains ? 
Un séminariste ivoirien, ordonné prêtre cette année, que j'avais amené à la Messe latine traditionnelle me disait qu'il comprenait désormais mieux ce que lui rapportait sa mère sur la liturgie plus priante et d'adoration qu'elle avait vécue dans sa jeunesse. Le style de la liturgie romaine traditionnelle s'est très bien inculturé dans les civilisations africaines et résonne très bien avec le sens du sacré dans ces cultures traditionnelles. Pourquoi l'Église en Afrique tend-elle à se priver de cette Forme extraordinaire de la liturgie comme un des atouts à sa disposition pour l'évangélisation ? 
Je sais bien Monseigneur que vous n'êtes pas directement concerné mais comment comprenez-vous la tendance très majoritaire dans l'Église africaine ? N'est-ce pas une conséquence de la question n°2 ? 


• Beaucoup d’évêques en Afrique sont jeunes et n’ont pas connu la forme extraordinaire. Ils ne peuvent donc pas être demandeurs de ce qu’ils n’ont pas connu et aimé. Vous me donnez raison avec cet exemple du jeune Ivoirien qui a vu et a apprécié. Il faut qu’on voit d’abord. Et puis en Afrique on ne crache pas sur la forme ordinaire comme certains groupes le font chez vous. C’est dans cette forme que le Pape célèbre et cela nous sécurise. Enfin, la fameuse querelle de Mgr Lefebvre et le Pape a beaucoup terni son image. On ne s’oppose pas à l’Autorité spirituelle supérieure. Pour nous c’est très mauvais. A cause de ce bras de fer, le nom de Mgr Lefebvre n’est pas une bonne publicité. On le rejette purement et simplement avec le rite qu’il a soutenu « unguibus et rostro ». Toute la confusion vient de là. Mais ne soyons pas pressé. L’Afrique est souvent en retard sur les bonnes choses… Elle redécouvrira un jour ce rite ancien. En tout cas, dans mon diocèse, la forme extraordinaire est célébrée régulièrement dans une paroisse personnelle créée à cet effet à côté de l’évêché. elle y trouve pleinement et pacifiquement sa place. Et c’est une richesse pour tout le diocèse.

Au moment du Concile Vatican II, Mgr Lefebvre était pour l'autorisation de la liturgie dans la langue vernaculaire à cause de son travail missionnaire en Afrique. 

Qu'en pensez-vous après plus de 40 ans d'application de cette réforme qui paraissait bonne à ce missionnaire expérimenté qu'était Mgr Lefebvre ? Est-ce vraiment positif pour des peuples dont la culture n'est pas de type occidentale ? Est-ce que ce point ne peut pas être évalué séparément des autres modifications liturgiques NOM ?
 

• Il est bien vrai que le vernaculaire n’est pas incompatible au rite ancien lui-même. Il y a des éléments de la forme extraordinaire qui sont appréciés ici, comme l’orientation de l’autel (du reste, il n’est pas exigé dans la forme ordinaire de célébrer face au peuple), la communion reçue à genoux, le sens du mystère par le silence, la multiplicité des signes de croix et de génuflexions et un certain nombre d’autres gestes.

Que peut apporter l’Église d’Afrique à celle d’Europe ? Songeons surtout à la différence dans le style de la prédication, si engageante et fervente chez vous, si sèche et inintéressante en occident ? Il en va de même pour le sens de la communauté, l’entraide, et pour tout dire de la fraternité chrétienne tellement plus évidente parmi les chrétiens d’Afrique noire que chez nous. Comment transmettre cet atout d'un continent à l'autre ? 


• Faut-il idéaliser d’un côté et donner un tableau noir de l’autre ? Les peuples sont différents et il faut les aimer tels qu’ils sont. Peut-être aussi l’étranger juge-t-il selon ce qui se passe chez lui. La manière d’être une communauté vivante n’est pas la même partout, la manière de prêcher d’un lieu ne convient pas toujours ailleurs. Quand je suis en Europe, j’essaie de prêcher différemment en tenant compte de la société européenne. En Afrique, il faut utiliser beaucoup d’images, cela correspond à notre mentalité. Il appartient à l’Europe de voir si l’Afrique peut lui apporter quelque chose en ce domaine. Le plus important c’est d’imiter dans notre vie la douceur et l’humilité de Jésus envers tous.

a Légion de Marie est un mouvement de masse au Congo-Kinshasa ainsi que dans les pays anglophones de l’Est, grâce au travail d’Edel Quinn. 
Qu’en est-il dans les pays francophones aux attaches historiques avec la France ? La Légion de Marie y est-elle bien implantée ? Est-ce que Mgr Lefebvre lui avait apporté son soutien à l’époque de son service parmi vous ?
 

• La Légion de Marie a sa place dans le diocèse, une place discrète mais agissante.

Que pensez-vous de cette adaptation de la forme ordinaire du rite romain (forme extradordinaire de la forme ordinaire?) qui date de 1988 ? L'expérience vous paraît-elle renouvealble, selon d'autres modalités ? 

• Je ne connais pas ce rite, je sais seulement qu’il a été légitimement approuvé par le Saint-Siège.

Pouvez-vous nous dire quelques mots de l'apostolat de l'abbé Denis Le Pivain (comment il est arrivé là, pourquoi vous l'avez accueilli), de "son" église (que vous avez consacrée, je crois), et de l'implantation du monastère Notre-Dame de l'Ecoute (comment les bénédictines de Jouques sont-elles venues au Bénin) ? 

• Je dois avouer que l’Abbé Denis Le Pivain est un prêtre Breton en or. Ce diocèse a surtout été évangélisé par les Bretons. Nous avons beaucoup reçu d’eux et c’est avec gratitude que nous avons accueilli l’Abbé Denis. Sa présence dans mon diocèse est l’œuvre de la divine providence. C’est difficile à expliquer. Ce prêtre nous enrichit par la célébration de la messe tridentine. Avec lui, la collaboration est au beau fixe. Il a réussi par la bonté de son cœur à se faire aimer du clergé local, des consacré(e)s et des laïcs. En un mot, c’est un prêtre équilibré qui sait distinguer l’essentiel de l’accessoire, et se laisse manger comme du bon pain. Visitez-nous et vous comprendrez mieux... Et ma peur est qu’on me le retire un peu trop tôt. Je n’en dis pas plus.

Pouvez-vous nous dire quel souvenir aura laissé Mgr Lefebvre en Afrique francophone ? Le témoignage de Mgr Thiandoum, comme celui de mes amis sénégalais (cercle, il est vrai, restreint), est positif. 

• Je confie au Seigneur le soin de juger Mgr Lefebvre. Je ne l’ai pas connu. Ceux qui l’ont connu l’apprécient encore. Il n’a commis qu’un seul « péché » : s’être opposé au Pape jusqu’à l’excommunication. Pour les Africains, en général, c’est mauvais et même très mauvais. Excusez-moi de ne pas m’attarder sur ce dossier que je ne maîtrise pas.

La liturgie traditionnelle est-elle enseignée aux séminaristes béninois, ou va-t-elle l'être prochainement ? 

• La liturgie traditionnelle n’est pas enseignée au Séminaire tout simplement parce que presque personne ne la célèbre. On ne la connait pas. Comment voulez-vous qu’on en sente le besoin et l’urgence ? Et pourtant elle est très proche de nos mentalités et de notre façon d’adorer Dieu : Les multiples secrètes, signes de croix, génuflexions, le sacrifice « ad orientem », le silence profond lors de la consécration etc. sans négliger le latin, devenu la langue de l’Eglise, c’est-à-dire la langue de tous les peuples pour unir toute l’humanité. Si cette liturgie ancienne est portée par des gens conflictuels et arrogants, les Africains s’en méfieront. Il faut être pacifique, sans jeter le discrédit sur la messe de Paul VI que tout le monde connaît ici. J’aime dans cette forme ordinaire du missel romain l’introduction des rythmes africains, la richesse des lectures bibliques en langues vernaculaires, la prière universelle, les réponses du Peuple, la variété des préfaces, le chant du « mysterium fidei » etc. Ce serait dommage que cette liturgie qui insiste sur l’aspect communautaire disparaisse du jour au lendemain, au moins en Afrique. Un travail doit être fait pour qu’on applique l’intention du Concile en ne perdant pas de vue la dimension du mystère et le caractère sacrificiel, cosmique et eschatologique qui semblent manquer à cette forme ordinaire.

La Création est fortement abîmée au Bénin comme dans d'autres pays par l'activité industrielle. 

Comment favorisez-vous / favoriserez-vous concrètement la protection de la Création dans votre diocèse ? 

Des initiatives comme la promotion de l'agriculture biologique dans les monastères, les propriétés diocésaines ou de fidèles, plus simplement le jardinage biologique, pourraient-elles être lancées ? 


• Le diocèse est très engagé au niveau du développement rural ; nous avons même une ferme agro-pastorale. Nous encourageons beaucoup le reboisement d’arbres et la production biologique...

Je vous serais très reconnaissant de nous donner votre avis sur la question des Organismes génétiquement modifiés non pas naturellement du point de vue scientifique, mais du point de vue catholique et béninois, puisque le Bénin a adopté un moratoire sur les OGM : 

- Est-il moral de transférer un gène de poisson dans une fraise, un gène de n'importe quelle espèce dans n'importe quelle autre ? Il ne s'agit plus de la sélection classique d'une variété végétale ou d'une race animale, qui accèlère la nature mais respecte les lois de la nature, mais bien de quelque chose qui ne peut pas se produire naturellement. C'est une nouveauté radicale. Est-ce un acte "bon" ? 

- Les jésuites de Zambie ont fait l'analyse suivante, en résumé : l'introduction des OGM (qui sont 1. payants et 2. polluants pour les champs du voisin car personne ne peut arrêter une abeille ou le vent qui transportent le pollen !) dans leur pays ferait disparaître la structure de la petite paysanerie familiale au profit de grosses structures agricoles, et augmenterait donc l'exode rural, grossisssant les banlieues de grandes villes d'ex-petits paysans sans travail et dans la misère. Partagez-vous ce type d'analyse ? 


• Je sais seulement que ce type de culture (OGM) crée une dépendance néfaste du paysan par rapport au producteur de semences. Or, le prix des semences, forcément importées d’occident, ne permettra pas au paysan de cultiver à un prix raisonnable.

Quel est l'impact du projet Songhai qui a été lancé il y 25 ans ? 

A-t-il contribué au développement économique du Bénin ? à la création d'entrepreneurs ?
 

• Je crois que le projet de SONGHAI a de belles réussites et a de l’avenir.

La France et la plupart des pays occidentaux connaissent une grave crise du mariage. De très nombreux jeunes gens lui préfèrent le concubinage ou le Pacs. 
Je réside dans une île de l'Océan Indien restée très catholique. Pourtant, là aussi, il y a une très grave crise du mariage dans la nouvelle génération. 

Puis-je vous demander ce qu'il en est en Afrique en général, et au Bénin en particulier ? 
Qu'exigez-vous des fiancés comme préparation au mariage ? 
La virginité avant le mariage est-elle une valeur respectée ? 
Quelle est la proportion des divorces ? 
Le concubinage existe-t-il aussi ? 
Et qu'en est-il de la contraception et de l'avortement ?
 

• Nous connaissons la même crise du mariage : difficulté à s’engager pour toujours, difficulté à vivre une fidélité de toute une vie. L’avortement, quoique non légalisé, est une pratique récente trop courante. Les idéologies de la santé de la reproduction, du « gender » en sont la cause. Les médias occidentaux et américains ne sont censurés par personne. Et nos jeunes s’en régalent.

Comme évêque, savez-vous si le désir de réforme de la réforme liturgique cher au Cardinal Ratzinger est encore d'actualité dans les projets du Pape? 

Le Motu proprio de 2007 semblait aller dans ce sens en prônant un enrichissement mutuel des deux formes du rit romain. Or, deux ans et demi après, rien de concret... 


• Patience à propos de l’enrichissement mutuel des deux formes liturgiques. Les deux formes ne se contredisent pas, et donc ne brisent pas l’unité de la foi et l’unité du mystère. Le Concile n’a jamais condamné le missel ancien ou les livres antérieurs. Il a voulu une réforme. Aimons et respectons les Actes du Concile. La dernière réforme liturgique nous a montré qu’il ne faut pas précipiter les choses en ce domaine. Une réforme ne s’impose pas dans les bureaux. Ce que je propose, c’est de créer d’abord la coexistence pacifique, respectueuse l’une de l’autre, des deux formes du rite romain. Il nous revient donc de cultiver un véritable esprit de la liturgie où les créativités fantaisistes d’un célébrant en crise pour plaire au peuple sont à bannir. Car toute liturgie, qui par sa beauté et sa profondeur, aide les fidèles à entrer en contact avec la Sainte Trinité, sera toujours aimée et encouragée par l’Eglise.

Nous voyons dans certaines paroisses de France des prêtres d'Afrique noire qui ont fini leurs études. Or, il me semble que cette partie du continent manque aussi cruellement de prêtres que nous. 

Certains de ces prêtres ne sont-ils pas tentés de rester à cause des conditions matérielles plus favorables que dans leur pays, comme c'est le cas pour certains médecins? 

Si oui, les évêques de ces prêtres cherchent-ils à les faire rentrer au pays après leurs études (ou leur stage)? 


• J’ai envoyé plusieurs prêtres se former en Europe et ils sont tous revenus. Personne ne m’a échappé. C’est vrai que l’Europe séduit à plus d’un titre. Mais tout dépend des convictions spirituelles du prêtre qui veut servir le Christ pauvre, chaste et obéissant. Le faire rentrer de force en Afrique ne résout pas le mal à la racine…On n’a pas besoin d’aller en Europe pour désirer le confort et le luxe. La tendance à trop aimer les commodités est présente aussi en Afrique comme ailleurs. Un discernement préalable de la part de l’Evêque le lui fait découvrir chez le prêtre. Mais le prêtre africain peut vouloir rester en Europe pour d’autres motifs, comme il y a des prêtres français qui ne veulent plus retourner en France pour des motifs non avoués. Souvent on les traite de héros, de missionnaires qui aiment les peuples africains. On les décore même pour cette attitude. Les Evêques français de ces prêtres-là ne les font pas rentrer en France « manu militari ». Entre-nous, n’y a-t-il plus besoin de prêtres français en France ? Et pourtant on les laisse en Afrique. Alors pourquoi penser que pour les Africains, c’est toujours et uniquement pour des motifs d’ordre matériel qu’ils veulent rester en France après avoir fini leurs études? Est-ce juste de faire l’amalgame entre africain et mendicité ?

Avez-vous des liens avec l'épiscopat français ? 
Si oui, comment voyez-vous l'application des directives romaines en matière liturgique en France, d'autant qu'un grand nombre de prêtres africains sont fidei donum dans ces diocèses ? 


Je ne pense pas que la crise liturgique soit partout en France. Notre diocèse a des liens privilégiés avec l’Archidiocèse d’Aix-en-Provence et d’Arles. A plusieurs reprises, j’ai célébré et concélébré là-bas à divers endroits, et je n’ai rien trouvé à redire. Je ne crois pas vraiment qu’il y ait de grands problèmes pour l’application des directives romaines en matière liturgique à Aix. Mais je peux me tromper. J’y ai un prêtre « fidei donum » qui n’a jamais soulevé de plainte en ce domaine. Ce qu’on oublie, c’est que la liturgie est d’abord céleste, nos liturgies les plus soignées sur terre seront toujours des copies pâles par rapport à la copie originale. Changeons nos cœurs et convertissons-nous. Alors nous verrons mieux Dieu dans le prochain que nous aimerons. N’est-ce pas là le commandement le plus important ? Je rappelle que nous serons jugés sur ce commandement et non sur les formes liturgiques. Pensons-y sérieusement pour ne pas avoir des surprises au dernier jour.

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commentaires

L
je suis content de revoir mon évêque
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