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19 mai 2008 1 19 /05 /mai /2008 15:25
Nous vous annoncions la semaine dernière la publication dans PRESENT d'un entretien accordé par Jean Madiran à Jean Cochet à l'occasion de la réédition de La trahison des Commissaires chez Via Romana.

En voici le contenu.

La trahison des commissaires

Entretien avec Jean Madiran 

« Ce livre est une chronique et un procès de la nouvelle religion qui s’est introduite dans le clergé catholique et dans sa hiérarchie : la religion se disant conciliaire et collégiale. » Dans cette troisième édition « augmentée » de La trahison des commissaires, Jean Madiran « en analyse les épisodes récents les plus significatifs ». Pour les lecteurs de Présent l’auteur commente dans cet entretien les nouvelles révélations que contient son livre. J.C.


— « Commissaire » ?… Celui qui est chargé de certaines fonctions « spéciales et temporaires ». C’est l’appellation que vous donnez aux évêques qui composent la « commission doctrinale de la conférence des évêques de France ». Est-ce pour marquer le caractère « temporaire » et provisoire de leur mission ?

— J’utilise « commissaire » dans son sens courant de « membre d’une commission ». Le noyau dirigeant qui manipule la « collégialité épiscopale » en France multiplie les commissions et les comités ayant en quelque sorte délégation du pouvoir épiscopal pour tous les diocèses. J’appelle « commissaires » les évêques membres d’une commission, et « comitards » ceux qui sont membres d’un comité. Au moyen de ces comitards et commissaires, encadrés, manipulés, instrumentalisés par le noyau dirigeant, celui-ci instille les principes d’une religion nouvelle.

— C’est en effet de la « religion nouvelle » que votre ouvrage, La trahison des commissaires, fait l’analyse à partir de plusieurs points significatifs. Il s’agit aujourd’hui de sa 3e édition. La première était de novembre 2004. La page du titre souligne que cette troisième édition est « complétée ». En quoi consiste ce complément ?

— Il concerne le fait que Mgr Bruguès, qui était président de la commission doctrinale, a connu depuis 2004 trois promotions aussi spectaculaires qu’inattendues ; trois promotions en trois ans :

– « consulteur » à la congrégation pontificale pour les instituts de vie consacrée ;

– « consulteur » puis « secrétaire » à la très importante congrégation pour l’éducation catholique : « secrétaire » signifie en effet commandant en second !

— Ces promotions attesteraient donc que, selon vous, la « religion nouvelle, venue coloniser de l’intérieur la religion traditionnelle », aurait des adeptes bien placés dans les hautes sphères de la hiérarchie catholique ?

— A l’occasion de la troisième promotion, la plus importante, les journaux catholiques ont publié, plus ou moins résumé, un aperçu de la carrière ecclésiastique de Mgr Bruguès. Aucun d’entre eux, je dis bien aucun, à ma connaissance, n’a mentionné la fonction la plus importante qu’il ait occupé, celle de président de la commission doctrinale, à ce titre représentant et détenteur, par délégation, de l’autorité doctrinale de l’épiscopat. Une information essentielle a ainsi été omise par les uns, caviardée dans les renseignements donnés aux autres. Or c’est en cette qualité de président de la commission doctrinale qu’il avait fait les déclarations publiques les plus scandaleuses : par exemple celles où il attribuait à l’exégèse moderne la découverte de « l’existence de frères et sœurs de Jésus », qui venait, disait-il, « questionner la compréhension de l’énoncé dogmatique de la virginité perpétuelle de Marie » !

— Une allégation que vous réfutez d’autant plus aisément que le sens du mot « frère » en hébreu a été expliqué par les Pères de l’Eglise quasiment dès l’origine du christianisme : des cousins de Jésus ?

— Exactement. Il y a aussi, entre autres, son extravagante déclaration sur la lecture chrétienne de l’Ecriture qui ne conteste pas la lecture juive niant la divinité de Jésus. Que « l’une des deux [lectures] ait raison, prétend-il, n’entraîne pas que l’autre ait tort ». L’analyse de ces affirmations délirantes figurait dans la première édition de La trahison, elle demeure bien sûr dans cette troisième édition, mais celle-ci comporte le « complément » annoncé : l’exposé de la situation résultant de la promotion « au sein de la Curie », comme dit La Croix, d’un Jean-Louis Bruguès n’ayant rétracté aucune de ses contre-vérités.

— Dans la Postface de cette 3e édition vous vous posez la question : que peuvent faire des laïcs pour résister aux théologiens de la nouvelle religion ? Vous répondez : «  Ils peuvent d’abord invoquer mon compatriote saint Prosper d’Aquitaine (Ve siècle) qui n’était ni docteur diplômé, ni prêtre, ni même diacre ; mais chroniqueur, essayiste, controversiste et poète. »

— Oui, j’appelle au secours Prosper et son exemple. Ce libre théologien laïc s’était fait connaître d’abord en appuyant saint Augustin contre les chicanes de quelques moines de Lérins ; il soutint la controverse contre les pélagiens et semi-pélagiens qui croyaient que sans la grâce les hommes peuvent, de leur propre initiative, commencer l’œuvre de la conversion et du salut. Le pélagianisme reste d’actualité, notamment avec la religion MK dans La Croix, proclamant qu’il faut aujourd’hui passer d’une foi « héritée » à une foi « choisie » : à la racine de cette prétention, c’est bien une erreur pélagienne ou, si vous voulez, semi-pélagienne. En invoquant Prosper, j’entends bien marquer qu’il ne s’agit point là du « pouvoir temporel du laïcat chrétien » dont j’ai parlé dans l’avant-propos de mon opuscule sur L’accord de Metz. Il s’agit là, j’en ai bien conscience, de l’intervention du laïcat dans un problème proprement religieux, – dans la crise du catholicisme, de la théologie catholique, du clergé et de sa hiérarchie. Nous ne sommes plus dans le temporel, mais dans ce qui est, de soi, le domaine de l’autorité spirituelle, c’est-à-dire de l’évêque. Son autorité épiscopale ne le met pas à l’abri de requêtes et de protestations légitimes que les laïcs ont éventuellement le droit voire le devoir de lui adresser. Par exemple un laïc qui s’entend prêcher qu’il faut désormais passer d’une foi héritée à une foi choisie sent tout de suite que cela ne va pas, n’est en accord ni avec l’Ecriture, ni avec l’acte de foi. Tout laïc perçoit également avec évidence qu’on ne peut pas tenir l’affirmation et la négation de la divinité de Jésus pour deux lectures de l’Ecriture également légitimes.

— Dans cette Postface, vous intervenez d’une façon plus personnelle que d’habitude ?

— Ce n’est pas sûr. Voyez mon Maurras de 1992 et mon Maurras toujours là de 2004, tous deux toujours disponibles chez DPF (Chiré), sans parler de mon Brasillach de 1958, réédité en 1985 : au détour des pages, le lecteur attentif aperçoit que je m’y suis de temps en temps mis en scène, peut-être un peu plus qu’il ne convient. Les « confessions » personnelles ne me paraissent possibles que dans la mesure où elles ont une portée « didactique ». Et vous avez eu tout récemment mes totales « confessions didactiques » avec les deux longues confessions, et une très brève, recueillies sous le titre Les vingt cinq ans de « Présent », et le sous-titre : confessions didactiques justement. Mais puisque nous parlons de livres, et puisque j’ai nommé DPF, je voudrais terminer par ce qui ne sera une dégression qu’en apparence.

Entre les éditeurs et les libraires, il existe, toute-puissante et inconnue du public, la redoutable corporation des diffuseurs.

Cette corporation tend à monopoliser la communication entre éditeurs et libraires, en la rendant par son intermédiaire plus commode, plus rapide, et quasiment indispensable. Ce qui lui permet, par son abstention, d’empêcher la distribution des ouvrages démocratiquement « incorrects ». Si vous avez près de chez vous un libraire qui ait en magasin et qui expose en vitrine nos livres, c’est-à-dire ceux de Sanders, de Rémi Fontaine, d’Yves Chiron, de Dillinger, de Trémolet, – et les miens, sans nulle vanité – vous avez une chance rarissime, favorisez-le en lui réservant toutes vos commandes et en le faisant connaître autour de vous. Dans ce domaine aussi il faut une activité militante. Mais si vous n’avez pas cette chance, n’allez plus jamais chez des libraires qui nous ignorent ou qui mettent quinze jours, et seulement sur commande payée d’avance, pour vous procurer nos ouvrages. Adressez-vous à DPF (Chiré), c’est l’œuvre magnifique de Jean Auguy, aujourd’hui menacée comme nous tous par l’asphyxie de la lecture, l’amenuisement du public cultivé, l’asservissement des intelligences sous l’arbitraire abrutissant des médias. Défendez-nous. Défendez-vous !

Propos recueillis par Jean Cochet

• Jean Madiran : La trahison des commissaires , Via Romana, 15 euros.

Article extrait du n° 6590 de Présent, du Samedi 17 mai 2008

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17 mai 2008 6 17 /05 /mai /2008 09:00

    La trahison des commissaires

« Ce livre est une chronique et un procès de la nouvelle religion qui s’est introduite dans le clergé catholique et dans sa hiérarchie : la religion se disant conciliaire et collégiale. » Dans cette troisième édition « augmentée » de La trahison des commissaires, Jean Madiran « en analyse les épisodes récents les plus significatifs ». Pour les lecteurs de Présent l’auteur commente dans cet entretien les nouvelles révélations que contient son livre.

Jean Cochet

Article à lire dans le supplément littéraire de Présent n° 6590 du Samedi 17 mai 2008, p.5

 

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15 mai 2008 4 15 /05 /mai /2008 12:35
« Deux jours à tuer »
Le désespoir moderne devant la mort

C’est le titre du nouveau film de Jean Becker : Deux jours à tuer(...) Le film pose avec une saisissante maîtrise ce que l’on appelle imparfaitement un « problème de société ».


A la suite d’un quiproquo où il n’est pour rien, le principal personnage, Antoine Méliot, joué par Albert Dupontel, laisse croire à sa femme, et fait croire au spectateur, qu’il a une liaison extra-conjugale. Le spectateur ne saura la vérité qu‘à la fin du film, et sa femme seulement après sa mort. Quand on connaît la clef de l’histoire, il convient de la revivre depuis le début en connaissance de cause, par exemple en voyant le film une seconde fois.

On aperçoit alors qu’il s’agit d’un brutal mais caché face à face avec la mort. Un face à face désarmé. La mort fait peur et horreur à la nature créée, elle est source d’une profonde tristesse, on le voit déjà dans le règne animal. Il s’y ajoute chez l’homme la douloureuse pensée du déchirement que la séparation va causer aux êtres chers qui survivent, sentiment qu’Albert Dupontel joue admirablement. Notre Seigneur lui-même a pleuré devant le tombeau de Lazare, qu’il allait pourtant ressusciter ; et Marthe n’est pas consolée de « savoir qu’il ressuscitera au dernier jour » (Jn 11, 24). Par quoi l’on voit que la plus ferme espérance surnaturelle n’allège pas la tristesse. Mais elle suscite une confiance qui arme l’esprit contre le désespoir.

Le personnage mis en scène par Jean Becker est absolument désarmé devant la perspective qu’avec la mort tout va disparaître. Rien n’a plus de sens si la vie n’a pas d’autre aboutissement que la séparation déchirante et le néant. On sent le poids écrasant d’une énorme absence. Cet Antoine Méliot vit et pense à l’unisson d’une société qui n’est même pas athée, elle n’a aucune idée pour ou contre le surnaturel, elle l’ignore. On est en deçà de cette inquiétude qui fut de tout temps une esquisse d’espérance, toutes les sociétés l’ont eue avant la société moderne : le vague souhait d’une immortalité de l‘âme, la croyance qu’il existe peut-être, au-delà du monde visible, une Bienveillance mystérieuse ou bien une Sévérité qui juge ; un « dieu inconnu » comme celui auquel les Athéniens avaient à tout hasard dédié un temple. La société moderne est celle d’une humanité désormais amputée de ce qui avait toujours été sa plus haute aspiration.

En ce sens-là, le personnage qu’incarne Albert Dupontel est parfaitement moderne : et le plus remarquable, le plus décisif, c’est qu’il n’est cependant ni un soixante-huitard, ni un débauché, ni un bling-bling, ni un abruti de télévision, ni un amateur de rave-parties, ni un membre influent de la classe politico-médiatique. C’est un homme honnête et un honnête homme. Il n’a pas encore été ravagé dans sa personnalité par la dure sentence de Chesterton à laquelle rien n‘échappe finalement : « Ôtez le surnaturel, il ne reste que ce qui n’est pas naturel. » Ou plutôt, il n’a été atteint que par cette absence radicale d’espérance, il n’en a pas même une ombre ou un vague reflet. Mais il est d’un naturel bienveillant et généreux, son réflexe habituel est d‘écouter les gens et de les aider. Et surtout il a, un peu aveugle, ou au moins obscure, une réelle piété filiale, qui est comme on le sait la plus grande vertu naturelle, la plus belle, la plus riche, la plus fondamentale, la seule à laquelle a été promise une récompense temporelle, le principe solide, fécond, indispensable de toute vie sociale. Mais rien, pas même cela, ne saurait combler l’absence de Dieu. Le film trace un saisissant portrait de cette Absence.

JEAN MADIRAN

Article extrait du n° 6588 de Présent, du Jeudi 15 mai 2008

A lire, dans le même numéro Deux jours à tuer Première lecture par CAROLINE PARMENTIER et Deuxième lecture par ALAIN SANDERS
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17 avril 2008 4 17 /04 /avril /2008 10:37
Dom Gérard et la messe
par Jean Madiran



Il n’y aurait donc plus de problème avec la nouvelle messe de Paul VI. La mouvance traditionnelle elle-même a enfin compris la nécessité de l’admettre telle quelle. La reconnaissance de cette nécessité, eh bien ce fut Dom Gérard le moteur d’un tel miracle. On l’en félicite ou on le lui reproche, mais enfin c’est bien lui qui l’a fait : un mois après ses funérailles, voilà déjà ce que l’on pouvait entendre et lire en substance, voire littéralement.

Si on laisse passer aujourd’hui, que n’inventera donc pas dans un an.


Bref avertissement.
– Il faut d’abord savoir de quoi l’on parle et ce que signifient les mots que l’on emploie. C’est l’usage qui en est le grand maître. Quand les gens entendent parler de « messe de Paul VI », de « nouvelle messe » ou de « nouvel Ordo Missae », ils comprennent qu’il s’agit des célébrations auxquelles ils assistent (ou participent) dans les paroisses, depuis presque quarante ans.

En réalité ce ne sont pourtant pas, la plupart du temps, des « messes de Paul VI » mais, au mieux, des « messes issues de la messe de Paul VI ».

Avec Jean-Paul II

En 1995, à la tête d’un important pèlerinage à Rome, Dom Gérard apportait au Pape une caisse de carton contenant 70.000 signatures en faveur du rite traditionnel.

Jean-Paul II lui accorda une audience qu’il programma comme faisant suite à une concélébration dans sa chapelle privée. C’était une marque d’estime et un grand honneur d’être invité à concélébrer avec le Pape… mais dans le rite de Paul VI, ce n’était pas forcément une attention délicate. On aurait attendu plutôt l’inverse : la concélébration avec le Souverain Pontife existe en effet dans le rite romain traditionnel. (L’attente, d’ailleurs, se prolonge, pourquoi le taire, on peut le dire en tout respect, l’attente d’une messe célébrée par le Pape selon ce que Benoît XVI a finalement nommé le « rite extraordinaire ».) A l’occasion de cette concélébration, Dom Gérard eut l’occasion de rappeler publiquement quelque chose de bien connu, « la validité et l’orthodoxie » du nouveau rite promulgué par Paul VI.

Le terme d’« orthodoxie » choqua le cher abbé Paul Aulagnier. En l’occurrence il signifiait simplement que, dans son texte authentique, la nouvelle messe n’est pas hétérodoxe, elle n’est pas hérétique. C’est ce que dirent dès 1969 le cardinal Ottaviani, Cristina Campo, Guérard des Lauriers, Raymond Dulac, Louis Salleron (etc.) ; et c’est ce qui est resté constamment admis par la plupart de ceux qui ont émis des doutes, des réserves, des objections à l’encontre de cette artificielle fabrication, « pernicieuse par son caractère évolutif et œcuménique ».

En France

L’année suivante, Dom Gérard s’est trouvé dans une situation analogue quand il s’est agi de faire entrer le Barroux dans la conférence monastique de France.

Les évêques susceptibles d’accepter une fondation du Barroux dans leur diocèse étaient contraints, au nom d’une « collégialité » manipulée par son noyau dirigeant, de refuser leur autorisation aussi longtemps que le Barroux ne serait pas admis dans la conférence monastique. Celle-ci, probablement sous la pression du même noyau dirigeant, exigea, pour une telle admission, deux concélébrations et, en outre, l’assurance de ne jamais interdire aux prêtres du Barroux de concélébrer en dehors de leur monastère. Cette dernière exigence, Dom Gérard a reconnu plus tard qu’il aurait pu la rejeter en se retranchant sur le droit propre de la communauté du Barroux, fondé sur les Déclarations, approuvées par Rome, auxquelles les moines du Barroux sont solennellement liés par leurs vœux de religion. On y lit en effet : « Vie monastique selon la Règle de saint Benoît et les coutumes léguées par nos anciens, l’office divin et la liturgie de la messe célébrés selon les rites plus que millénaires de la Sainte Eglise Romaine, dans la langue latine : telles sont les deux sources qui ont donné naissance à la communauté du Barroux et constituent sa raison d’exister. » Ce n’est pas un indult dont il serait loisible d’user ou de ne pas user, et qui pourrait être supprimé, c’est ce que le droit canon appelle une lex propria, c’est la « loi propre » de la communauté du Barroux.

Selon une thèse contraire, aucun supérieur religieux ne pourrait interdire à un prêtre de concélébrer selon le « rite ordinaire ». C’est peut-être là une de ces quaestiones disputatae où diverses opinions sont libres de s’opposer les unes aux autres.

Un cas particulier

En tout cas voilà tout ce que l’on peut trouver chez Dom Gérard qui paraisse « en faveur » (?) de la messe nouvelle. Il ne s’en est point caché, cela est de notoriété publique, il a dit ce qu’il avait à en dire, et il n’y a vraiment pas de quoi en faire de lui le moteur ni même un bienveillant accompagnateur du ralliement (qui d’ailleurs n’a pas eu lieu) de la mouvance traditionnelle à une prétendue « nécessité » de la nouvelle messe. Dans la formation qu’il leur a donnée, il a toujours dit à ses moines de s’en abstenir à l’extérieur comme à l’intérieur du monastère. Il aimait mentionner les quatre années où trois moines du Barroux, étudiants à Rome et logés à l’abbaye Saint-Anselme, ont à contre-courant respecté la règle de refuser toute concélébration.

Autrement dit, ce qu’il a été amené à faire en certaines circonstances doit être – pour reprendre une formule officielle employée par le Saint-Siège dans une tout autre affaire – considéré comme « un cas particulier qui ne saurait être généralisé ». Dom Gérard lui-même s’est élevé, et parfois par écrit, contre une telle généralisation :

– Je regrette infiniment, protestait-il, que les deux concélébrations que j’ai consenties pour le bien de notre fondation d’Agen puissent créer un précédent dont on s’autoriserait à tort, non seulement pour en poursuivre et multiplier la pratique, mais aussi et surtout pour le reconnaître comme l’exercice d’un droit.

Gravement, il ajoutait à ce sujet :

– Il me revient le droit d’interdire formellement que l’on s’autorise de moi pour faire le contraire de ce que j’ai enseigné et pour quoi j’ai milité contre vents et marées.

Par « principe »

Selon une vue sommaire, qui est un piège, il ne pourrait y avoir que deux attitudes : ou bien reconnaître la « nécessité d’adopter » la nouvelle messe, ou bien la « refuser par principe ».

Mais « par principe » a un sens propre et un sens figuré.

Au sens propre, refuser la nouvelle messe par principe, ce serait la déclarer invalide ou hérétique.

Au sens figuré, c’est s’en abstenir partout et toujours.

La plupart des prêtres et des fidèles qui s’abstiennent partout et toujours de la nouvelle messe ne la croient cependant ni hérétique ni invalide.

D’ailleurs, dans la plupart des cas, ce n’est point de la « messe de Paul VI » qu’ils s’abstiennent, mais en fait de « messes issues de la messe de Paul VI » dont la valeur est manifestement incertaine.

Et puis…

Ce qui contribue à tout brouiller, c’est aussi, voire d’abord, l’usage de catégories artificielles qui enferment (et déforment) les réalités dans une opposition dialectique entre « ouverture » et « ghetto », « avenir » et « passé », « positif » et « négatif », « largeur d’esprit » et « fermeture ». Ce vocabulaire, ces concepts, ces critères sont d’esprit marxiste-léniniste, ils ont, dans nos démocraties occidentales, survécu à l’effondrement de la Russie soviétique. Les médias en demeurent pourris. La contagion, si l’on n’y veille, n’en épargne personne.



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La rumeur dont nous parlons, la mauvaise rumeur, orale ou imprimée, semble n’avoir pas tout à fait ignoré la fermeté de Dom Gérard face à la nouvelle messe : alors elle trouve commode de supposer que ce fut à la fin de sa vie. Tardivement, sa position serait devenue moins irénique, plus sévère, parce qu’il serait devenu attentif aux effets catastrophiques de la réforme liturgique. Comme s’il n’en avait rien aperçu quand il se faisait (sans motif ?) ermite à Bedoin.



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Jusqu’ici, on n’avait entendu aucun prêtre, aucun laïc déclarant avoir été amené par Dom Gérard à reconnaître la nécessité du nouveau rite. Si maintenant il existe une exception, ce doit être un malentendu.

JEAN MADIRAN


Article extrait du n° 6571 de PRESENT du Jeudi 17 avril 2008, pp. 1 et 3
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13 décembre 2007 4 13 /12 /décembre /2007 10:40
L‘émotion a gagné jusqu‘à la Nonciature
La Documentation catholique datée du 2 décembre vient elle aussi de censurer le curriculum de Mgr Jean-Louis Bruguès.

Annonçant à son tour la nomination de l’ex-commissaire-président au poste très important de « secrétaire », c’est-à-dire de « numéro 2 » à la congrégation pontificale de l‘éducation, La Documentation catholique énumère les étapes de sa carrière ecclésiastique en passant sous silence la plus haute fonction qu’il ait précédemment exercée.

La congrégation pontificale pour l‘éducation est un dicastère-clé : il est chargé des séminaires, des facultés de théologie et de l’enseignement catholique.

Il y a une… anomalie ? dans la promotion de l’ex-commissaire-président Jean-Louis Bruguès à un poste aussi décisif au sein de la Curie romaine.

Ses états de service contre les dogmes concernant la divinité du Christ et la virginité perpétuelle de Marie lui sont assurément des titres plutôt gênants.

C’est pourquoi l’on dissimule soigneusement, dans son curriculum, le fait qu’il a été le président de la fameuse commission doctrinale de l‘épiscopat français.

Si l’on ose aussi effrontément le cacher au public, c’est peut-être le signe qu’on a osé le cacher aussi lorsqu’on a proposé sa candidature à la première promotion romaine, c‘était en 2005, et c‘était déjà, comme « consulteur », à la congrégation de l‘éducation catholique. Ainsi se préparait sa montée ultérieure au poste de secrétaire et son élévation à la dignité archiépiscopale. Là où il est maintenant, le voici cardinalisable.

Le trou factice dans son curriculum officiel était comblé d’avance par mon opuscule La trahison des commissaires, paru à la fin de l’année 2004. La « mise au point » de Mgr Bruguès sur la Vierge Marie, qui n’est nullement la rétractation due, est consignée dans la « 2e édition complétée » du même opuscule, aujourd’hui épuisé chez l‘éditeur. J’en prépare donc une « 3e édition augmentée », qui sera enrichie du commentaire de l‘étrange promotion romaine.

N’est-ce pas trop insister sur un cas qui est ou devrait être maintenant assez connu ? Mais le propre d’une campagne d’opinion est d‘être patiente et persévérante. Grand praticien en la matière, Léon Daudet assurait qu’une campagne de presse « se prolonge pendant des semaines et quelquefois des mois, parfois des années ». Il ajoutait : « C’est une erreur de croire que le public se lasse rapidement d’une campagne bien menée. » Et il citait en exemple une de ses campagnes, qui avait duré « douze années » (1923-1935).

Persévérance et patience ! Un de nos lecteurs écrivait en novembre au Nonce apostolique à Paris pour lui soumettre l’assertion de Mgr Bruguès, ès qualités de président de la commission doctrinale, ainsi rapportée :

« Toute personne est engagée face au Messie d’Israël, le reconnaissant ou non en Jésus mort et ressuscité (…). La lecture chrétienne ne conteste pas la lecture juive, chacune ayant son propre registre d’interprétation. Que l’une ait raison n’entraîne pas que l’autre ait tort. »

Le Nonce apostolique, Mgr Fortunato Baldelli, a répondu le 27 novembre :

« Si, et nous le croyons fermement, Jésus est le Messie annoncé par les prophètes de l’Ancien Testament, énoncer le contraire, même en toute bonne foi, est une erreur manifeste et fondamentale. »

La réponse allait de soi ?

Sans doute. Mais c’est celle qu’aucune voix autorisée n’avait faite jusqu’ici.

JEAN MADIRAN

Article extrait du n° 6484 de Présent, du Jeudi 13 décembre 2007
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1 décembre 2007 6 01 /12 /décembre /2007 10:41
C’est aussi un charlatan


Mgr Bruguès en personne nous avait publiquement présenté la découverte de l’« existence de frères et sœurs de Jésus » comme figurant au nombre des récents « résultats » dus au « travail des historiens ». C‘était là un charlatanisme caractérisé.

L’existence de dénommés à l’ancienne « frères » et « sœurs » de Jésus (c’est-à-dire en réalité des parents proches) n’est pas une nouveauté. Mgr Bruguès y voit une découverte qui met en question « la compréhension de l‘énoncé dogmatique de la virginité perpétuelle de Marie ». Cela figure dans sa Note doctrinale, à ce jour non rétractée, du 23 mars 2004 (cf. La trahison des commissaires, 2e édition complétée, p. 41-46 et 74-80).

A la suite de cet exploit, Mgr Bruguès avait été, en décembre 2004, plus ou moins contraint par l‘épiscopat à une « mise au point » sur le culte marial. Il le fit sous les espèces d’une mise en garde contre un livre du théologien Dominique Cerbelaud, écrit « dans le style de la théologie scientifique », et contre un livre du publiciste Jacques Duquesne faisant de la Vierge Marie une mère de famille nombreuse. Esquive dérisoire, il aurait dû faire sa mise en garde contre lui-même, ses divagations officielles, ès qualités de président de la Commission doctrinale, étant autrement graves que celles d’un théologien privé ou de son vulgarisateur.

Avec de tels états de service concernant Jésus et Marie, Mgr Bruguès a néanmoins trouvé le moyen d‘être promu cette année à la sous-direction de la Congrégation romaine pour l‘éducation catholique (séminaires et instituts d’enseignement), et du même coup d‘être « élevé à la dignité archiépiscopale ». Ce n’est possible que par l’entremise d’amis puissants et habiles, et sans scrupules, qui auront fait de lui un portrait suffisamment orthodoxe et rassurant, alors qu’au contraire ils lui donnent leur soutien en raison de ce qu’il est en réalité. Il n’y a pas d’effet sans une cause proportionnée : la cause est ici la survivance, après le décès du pape Montini, de ce que j’ai appelé le « parti montinien », prolongé d’une génération dans l’autre par cooptation. Dépassant certes son éponyme, il est dans l’Eglise le parti de ce que Maritain a nommé l’« apostasie immanente ». On le reconnaît notamment à son anti-dogmatisme, partiellement camouflé sous le prétexte d’une moderniste réinterprétation des dogmes catholiques.

L’idéologie mondialiste d’un métissage systématique des religions, des cultures et des ethnies, la ravageuse démocratie égalitaire (c’est surtout dans la mesure où elle se fait égalitariste que la démocratie devient universellement ravageuse) et le relativisme ambiant n’ont pas épargné l’Eglise catholique. Ils y ont une prolifération concéreuse, l’Eglise s’y est ouverte par son ouverture au monde. Le parti montinien est celui pour lequel c’est l‘évolution du monde qui est enseignante et c’est l’Eglise qui a besoin d’en être enseignée. Dans ce monde avorteur et asphyxiant du début du XXIe siècle, où prédomine ce que Jean-Paul II a nommé la culture de mort, c’est finalement l’Eglise qui va le moins mal. Son clergé n’est pas intellectuellement intact. Ses fidèles sont souvent désorientés par un épiscopat inconsistant ou dissident. Dans le catholicisme actuel les repères, la distinction objective et claire du bien et du mal, la distinction objective du vrai et du faux, la distinction du beau et du laid ont beaucoup perdu de leur nécessaire netteté : mais moins qu’ailleurs. Les sept sacrements de l’Eglise y sont valides, signes sensibles toujours efficaces. La source n’est pas tarie.

JEAN MADIRAN

Article extrait du n° 6476 de Présent, du Samedi 1 décembre 2007
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30 novembre 2007 5 30 /11 /novembre /2007 10:43
Jésus facultatif

Dans l’affaire Jean-Louis Bruguès, rien ne bouge depuis trois ans, sauf le personnage lui-même, dont l’irrésistible carrière va de promotion en promotion, comme si de rien n‘était.

Es qualités de président de la Commission doctrinale de l‘épiscopat, Mgr Bruguès est l’auteur non seulement d’une remise en « questionnement » de la virginité perpétuelle de Marie, dont nous reparlerons plus tard, mais aussi d’une singulière façon de manipuler l’acte de foi en Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme.

Pour Mgr Bruguès, reconnaître ou non le Messie en Jésus, mort et ressuscité, est sujet à des « interprétations » diverses et notamment à deux « lectures » :

« La lecture chrétienne ne conteste pas la lecture juive, chacune ayant son propre registre d’interprétation. Que l’une ait raison n’entraîne pas que l’autre ait tort. »

En somme, pour Mgr Bruguès, croire que Jésus, mort et ressuscité, est vrai Dieu et vrai homme, est facultatif. Le oui n’entraîne pas que le non ait « tort ». L’un et l’autre ont raison simultanément. C’est possible si, comme Mgr Bruguès, on renonce explicitement à un « idéal d’objectivité historique illusoire » (texte cité dans La trahison des commissaires, 2e édition complétée). On peut considérer alors la divinité de Jésus-Christ comme une sorte de mythe, utile ou merveilleux, mais n’ayant aucun titre à donner « tort » à sa négation.

La provocante position doctrinale de Mgr Bruguès n’est pas absolument isolée dans l’Eglise. On voit s’exprimer çà et là des tendances plus ou moins analogues ou ressemblantes. Par exemple j’ai lu, sous la plume du cardinal Lacroix, un développement approximativement parallèle (sinon dans son récit, du moins dans sa conclusion) :

« … J’ai appris à goûter l’Ancien Testament et à me familiariser avec lui ; j’ai de mieux en mieux compris que le Nouveau Testament n’est pas un autre livre d’une autre religion qui, pour une raison quelconque, se serait approprié les Saintes Ecritures des Juifs comme une sorte de préfiguration. Le Nouveau Testament n’est autre que l’interprétation de “la Loi, des Prophètes et des Ecritures” tirée de l’histoire de Jésus, donc contenue en elle, sources qui, au temps de Jésus, ne constituaient pas encore un canon définitif mais restaient ouvertes : par elles-mêmes elles témoignaient ainsi de Jésus auprès de ses disciples, comme les textes saints qui manifestaient son mystère. J’en suis venu à penser que le judaïsme (qui ne commence, stricto sensu, qu‘à la fin de la constitution d’un Canon des Ecritures, soit au Ier siècle après Jésus-Christ) et la foi chrétienne exposée dans le Nouveau Testament sont deux modes différents d’appropriation des textes sacrés d’Israël, tous deux ultimement déterminés par la façon d’appréhender le personnage de Jésus de Nazareth. L’Ecriture que nous nommons aujourd’hui Ancien Testament est en soi ouverte sur deux voies. Et nous n’avons en réalité commencé à comprendre qu’après la Seconde Guerre mondiale que l’interprétation juive “après Jésus-Christ” possède elle aussi son propre message théologique. »

Toutefois la différence est que le cardinal Lacroix, ce faisant, n’accomplissait pas un acte magistériel, il racontait sa vie, et sa manière de penser à un certain moment de cette vie. Un cardinal n’a pas forcément une abondance de grâces d‘état pour rédiger son autobiographie. Mgr Bruguès, lui, accomplissait bien une sorte d’acte magistériel. Président de la Commission doctrinale et parlant en son nom, il engageait la responsabilité de la Conférence épiscopale, ainsi que l’ont décidé les évêques français. Or, depuis un tel scandale doctrinal, non rétracté par la hiérarchie, la carrière de Mgr Bruguès progresse au rythme d’une promotion par an, il est maintenant secrétaire (c’est-à-dire numéro 2) de la Congrégation romaine pour l‘éducation (cf. Présent du 29 juin et du 14 novembre). C’est sur cette anomalie persistante que nous avons désormais à réfléchir.

JEAN MADIRAN

Article extrait du n° 6475 de Présent, du Vendredi 30 novembre 2007
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17 novembre 2007 6 17 /11 /novembre /2007 10:44

Commençons par une question iconoclaste : était-il opportun d‘écrire, de publier, de lire une Histoire de la messe interdite, au moment où le Motu proprio commence, non sans difficultés, de s’appliquer ? Autrement dit, à l’heure de la négociation, de la stratégie, de la tactique, fallait-il dire la vérité, toute la vérité, sur la messe ?

Rupture ou continuité ?

L’entreprise de Jean Madiran est d’autant plus périlleuse qu’elle n’exprime pas les opinions personnelles de son auteur, même si son style, le choix des personnes et des textes cités colorent subjectivement son texte : c’est abord un historique avec, pour chaque chapitre, un récit des événements, puis des repères soigneusement datés, intitulés Chronologie et documents. A ce titre, son étude est imparable.

Mais voilà : si on lit cette Histoire de la messe interdite après avoir lu le Motu proprio et la Lettre aux évêques de Benoît XVI, on ne peut manquer de relever des contradictions fortes entre les deux textes, celui du Pape et celui du laïc. Elles tiennent, partiellement, aux différences de tempéraments, de conditions, de perspectives : un laïc qui n’aime pas pactiser et qu’Emile Poulat classe dans la mouvance, si l’on peut dire, de l’« intransigeantisme » ; un pape bienveillant par nature et qui veut avant tout « parvenir à une réconciliation interne au sein de l’Eglise », et que « tout se passe dans la paix et la sérénité ». Or, il est rare que, sans omission ni compromis, on parvienne à la réconciliation et à la paix.

Examinons les textes.

Dès le début du Motu proprio, Benoît XVI s’efforce de dégager la continuité qui présida à la liturgie sacrée, depuis Grégoire le Grand… jusqu‘à Paul VI.

Il est significatif que pour évoquer la codification de la messe par saint Pie V, et la réforme de Paul VI, il emploie un vocabulaire similaire, voire identique : « Saint Pie V… renouvela tout le culte de l’Eglise, fit éditer des livres liturgiques corrigés et restaurés aux normes des Pères. » Quant à Paul VI, il « approuva en 1970 des livres liturgiques restaurés et partiellement rénovés de l’Eglise latine ».

Dès lors, il n’y a pas opposition entre deux rites, puisqu’il n’y a pas deux rites, mais « deux mises en œuvre de l’unique rite romain », « un double usage de l’unique et même rite », l’un étant « l’expression extraordinaire de la même “lex orandi” de l’Eglise », l’autre son expression ordinaire. Les deux formes, loin de s’opposer, peuvent s’enrichir, ajoute Benoît XVI. Notons cependant que les enrichissements ne sont pas du même ordre : dans l’ancien missel, qu’il a l’habileté d’appeler le plus souvent « le missel romain publié en 1962 par Jean XXIII », Benoît XVI suggère d’« insérer les nouveaux saints et quelques-unes des nouvelles préfaces ». Dans la célébration de la messe selon le missel de Paul VI, il exprime le vœu que puisse être « manifestée de façon plus forte… cette sacralité qui attire de nombreuses personnes vers la forme ancienne du rite romain ». Dans le premier cas, il s’agit de simples ajouts ; dans le second, c’est l’essentiel qui est visé : car s’il est une marque visible de la messe de Paul VI, c’est la désacralisation, signe de ce que le père Congar appelait « la révolution d’Octobre dans l’Eglise ».

Une rupture violente

La « révolution d’Octobre dans l’Eglise » : c’est bien le sujet du livre de Madiran qui met l’accent, non sur une continuité, mais sur une rupture et une rupture violente.

La rupture la plus sensible se trouve dans l’Institutio generalis qui accompagne le nouvel Ordo promulgué en 1969 ; la messe y est ainsi définie : « La Cène du Seigneur, appelée aussi messe, est la synase sacrée ou le rassemblement du peuple de Dieu se réunissant sous la présidence du prêtre pour célébrer le mémorial du Seigneur. » Définition que l‘épiscopat français, dès la première édition du nouveau missel des dimanches, reprendra sous forme d’un « rappel de foi » : à la messe, « il s’agit simplement de faire mémoire de l’unique sacrifice déjà accompli ». La messe n’est plus alors le « renouvellement non sanglant du sacrifice du Calvaire », mais, commente Madiran, « une simple réunion de prière et l’assemblée du souvenir ». Cette nouvelle définition de la messe, ajoute-t-il, est « celle que professent la plupart des protestants ». Le cardinal Ottaviani, qui fut sous trois papes (de Pie XII à Paul VI) à la tête de la « Suprême Congrégation du Saint-Office », avait déclaré que la nouvelle messe « s‘éloignait, d’une manière impressionnante, de la théologie catholique du concile de Trente ».

On saisit alors l’inéluctable conséquence : le conflit, le combat. Et c’est bien d’un vocabulaire de guerre qu’use Madiran, ou les personnalités citées par lui. Le « principal opérateur de la révolution liturgique », le P. Hannibal Bugnini, doit à son prénom (et sans doute à une analogie plus profonde), d’avoir été surnommé « le chef borgne monté sur l‘éléphant gétule ». André Charlier évoque « une conjuration pour éliminer totalement le latin et le grégorien de la liturgie » ; la nouvelle messe est appelée « une arme par destination » contre la messe tridentine. Quand apparaît le texte de la nouvelle messe, Cristina Campos, instigatrice du Bref examen critique adressé au pape dès l’automne 1969, « entre en campagne », et avait sur l’Aventin établi sa « dunette de commandement ».

Le combat fut ponctué de « controverses et de quelques refus très résolus », de suppliques individuelles et collectives, dont l’une est une lettre-manifeste rédigée en 1969 pour sauver le latin, avec la signature d’artistes et d’intellectuels, de Pablo Cazals à François Mauriac ; l’autre, de 1971, est un appel international pour la survie de la messe traditionnelle, réunissant les signatures de diverses personnalités, catholiques ou non, d’Agatha Christie à Yéhudi Menuhin en passant par Montherlant. Ces suppliques ont pour trait commun la défense d’un patrimoine culturel, d’une œuvre d’art, d’un trésor sacré incompréhensiblement menacés par un pape qui en avait plus que tout autre la garde.

La messe interdite

L’interdiction s’inscrit dans la logique du combat, dont la conséquence est l‘élimination d’un des deux protagonistes. Benoît XVI, dans sa Lettre aux évêques, rappelle que « le missel de 1962 n’a jamais été juridiquement abrogé et par conséquent, en principe, il est toujours resté autorisé ». L’emploi des tours adverbiaux témoigne du conflit entre le fait et le droit. Sans doute la messe tridentine ne pouvait-elle être juridiquement abrogée, le privilège-indult permettant à tout prêtre de célébrer selon l’Ordo de Pie V étant perpétuel, mais elle le fut pratiquement, depuis l’allocution au consistoire, le 24 mai 1976, de Paul VI, précédée par les impatiences des clergés suisse et français « Le Nouvel Ordo a été promulgué pour être substitué à l’ancien… Ce n’est pas autrement que notre saint prédécesseur Pie V avait rendu obligatoire le missel révisé sous son autorité à la suite du concile de Trente. Avec la même autorité suprême qui nous vient du Christ-Jésus, nous ordonnons la même prompte soumission… »

Cette référence réitérée à Pie V est paradoxale, à l’image de l‘énigmatique Paul VI ; c’est au nom de la Tradition qu’il supprime la Tradition. Or Pie V, en codifiant la messe, n’avait nullement l’intention d‘éradiquer les rites immémoriaux. S’inscrivant dans la tradition catholique de l’enrichissement des héritages, il avait « explicitement stipulé que les rites ayant un usage ininterrompu supérieur à deux cents ans, demeureraient autorisés ».

Le manteau de Noé

C’est dans cette tradition aussi que s’inscrivait le cardinal Ratzinger, lorsque, dans Le Sel de la terre, il définissait la liturgie comme « une fête qui n’est pas inventée par une commission quelconque, mais qui vient à moi de plus profond des millénaires, et, en fin de compte, de l‘éternité ». Il fut le maître d‘œuvre du Catéchisme de l’Eglise catholique, qui ne définit plus la messe comme un mémorial, mais comme un sacrifice : « Le Christ est là présent dans le sacrifice de la messe, et dans la personne du ministre, “le même offrant maintenant par le ministère des prêtres”, qui s’offrit alors Lui-même sur la Croix ».

« L’histoire de la liturgie est faire de croissance et de progrès, jamais de rupture », écrit Benoît XVI dans sa Lettre aux évêques. C’est pourtant bien l’histoire d’une rupture qu‘écrit Madiran avec cette Histoire de la messe interdite. Il est bon, sans doute, de la connaître, mais peut-être est-ce l’heure de tourner hardiment les pages, non sans les avoir apprises par cœur avant de les tourner, mais avec la volonté de mettre fin à la « guerre civile qui a sévi depuis les années 1970 », selon l’expression de l’abbé de Tanoüarn. Et, pour cela, peut-être est-ce l’heure de jeter, sur l’Eglise de Paul VI, un charitable manteau de Noé.

Danièle Masson

Article extrait du n° 6466 de Présent, du Samedi 17 novembre 2007, p.I du Supplémentaire littéraire
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14 novembre 2007 3 14 /11 /novembre /2007 10:50

La nouvelle promotion de Mgr Bruguès, ecclésiastique à scandale, personnage tristement illustre, montre à quel point le parti montinien demeure puissant dans l’Eglise et à Rome même, au sein de la Curie.

Il part donc pour Rome, il est nommé secrétaire (c’est-à-dire numéro 2) d’une importante congrégation, et à la faveur de cette nomination romaine il est élevé au rang d’archevêque, en attendant mieux : il est maintenant cardinalisable.

Trois promotions pontificales en moins de trois ans pour celui qui a été le scandaleux président de la Commission doctrinale de l‘épiscopat français. En janvier 2005, consulteur de la congrégation romaine pour l‘éducation catholique. En juin 2006, consulteur à la congrégation pour la vie consacrée. En novembre 2007, secrétaire de la Congrégation pour l‘éducation. Cela appelle une classique citation latine qu’il vaut mieux désormais donner directement en traduction : « Jusqu’où ne montera-t-il point ? »

Ces trois promotions sont postérieures au scandale intellectuel analysé en détail dans notre ouvrage La trahison des commissaires. Le point culminant du scandale, le point indépassable, fut la négation par Mgr Bruguès du principe d’identité, appelé aussi principe du non-contradiction. « Toute la personne, a-t-il écrit, est engagée face au Messie d’Israël, le reconnaissant ou non en Jésus, mort et ressuscité. »

Et alors :

« La lecture chrétienne [à ce sujet] ne conteste pas la lecture juive, chacune ayant son propre registre d’interprétation. Que l’une ait raison n’entraîne pas que l’autre ait tort. »

Cela figure dans la « Note de la Commission doctrinale des évêques de France sur l‘émission télévisée Les origines du christianisme », note présentée par son président Jean-Louis Bruguès. On peut la retrouver dans La Documentation catholique du 16 mai 2004.

Si donc vous affirmez que Jésus est le Messie, cela ne donne nullement tort à ceux qui le nient. Les deux « interprétations » méritent le même respect. A la question de la divinité de Jésus, le « oui » et le « non » ne s’excluent pas, ils sont vrais tous les deux !

Mgr Bruguès ne s’en est point repenti, il n’en a rien rétracté. Il a esquissé une rétractation indirecte et peu convainquante de ses insinuations, dans la même Note, en faveur d’une compréhension plutôt « spirituelle » que « physique » de la virginité perpétuelle de Marie (cf. La trahison des commissaires, p. 42-46 et 86-88). Il n’a pas bronché quand son adjoint à la Commission doctrinale, le P. Philippe Vallin, a publiquement énoncé que la résurrection du Christ n’est pas « un événement antérieur à la logique de rencontre et de témoignage des apparitions ». On ne fait pas mieux en matière de « modernisme » au sens précis réprouvé par saint Pie X.

La fulgurante promotion de Jean-Louis Bruguès, actuellement en cours, fait penser à ce que fut l’incroyable ascension de Jean Villot, couronnée par une incrustation à la tête de la Secrétairerie d’Etat, où il fut inamovible sous quatre souverains pontifes successifs. Le parti montinien demeure aussi puissant, ou presque, qu’il le fut sous Paul VI. Non seulement il est installé dans l’Eglise, in sinu gremioque Ecclesiae, mais il bénéficie de puissants soutiens extérieurs à l’Eglise et néanmoins influents à l’intérieur de l’Eglise. Il n’est cependant point tout à fait invulnérable. J’en trouve la preuve dans La Croix de lundi. Annonçant l’installation à Rome de Mgr Bruguès, elle indique qu’il y « représentera une certaine tradition, celle de l’Eglise de France », c’est un clin d‘œil à ceux du parti, les avertissant qu’il est bien l’un des leurs. Mais si La Croix donne un aperçu de sa carrière, elle omet tout à fait ses années de présidence à la Commission doctrinale. Une telle omission montre bien qu’elle le sait : les mentionner rendrait le personnage clairement imprésentable.

JEAN MADIRAN

Article extrait du n° 6463 de Présent, du Mercredi 14 novembre 2007, p.1
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18 octobre 2007 4 18 /10 /octobre /2007 10:51

A sa « chanson de Fortunio », que Musset me pardonne, j’emprunte une cadence et deux rimes, pour une annonce pacifique :

Si vous croyez que je vais dire

Qui donc blâmer,

Je ne saurais pour un empire

Vous les nommer.


Autrement dit, mon propos ne va désigner personne. Mais voici que circulent, dans l’opinion tradi ou à son adresse, quelques idées trop inexactes. Je voudrais consoler, en les rétablissant, quelques vérités envoyées pleurer au pain sec dans le cabinet noir.

C’est ainsi que l’on entend parler à nouveau d’une rétractation du cardinal Ottaviani : il aurait explicitement rétracté son Bref examen critique de la nouvelle messe, récemment réédité par les Editions Renaissance catholique de Jean-Pierre Maugendre. On nous ressort l’histoire d’une lettre où le Cardinal aurait assuré en outre n’avoir donné à personne l’autorisation de publier sa lettre-préface au Bref examen. Cette fabrication de 1970 n’avait pas survécu à 1970. La revue Itinéraires avait immédiatement démontré que la prétendue lettre de rétractation n‘était pas authentique. Cette démonstration n’avait rencontré aucun démenti, elle ne fut contestée ou réfutée ni alors ni depuis lors. L’actuelle tentative de réanimation d’une calomnie clairement disqualifiée est une grave contre-vérité ; elle ne doit tromper personne ; il convient d’y veiller. Et d’un.

Et de deux : l’effort réitéré pour nier que six « observateurs » protestants ont activement participé aux travaux du « consilium » qui, de 1964 à 1968, a fabriqué la messe nouvelle. C’est un argument de poids contre une prétendue intangibilité de la messe de Paul VI. Comme, analogiquement, l’accord de Metz fait peser une lourde suspicion sur la constitution conciliaire Gaudiun et spes. Pour la messe, des personnalités dignes de foi témoignent qu’au cours des travaux on demandait leur avis à ces « observateurs » ou même qu’ils le donnaient spontanément. Cela passe communément pour un fait historiquement admis. Pour l‘écarter, on invoque une déclaration « officielle » de… la « salle de presse du Saint-Siège », en 1976, assurant que ces six théologiens protestants furent admis comme « simples observateurs » et ne participèrent pas à l‘élaboration des textes du nouveau missel. La « salle de presse » a bien pu officiellement parler ainsi, elle n’a pas l’autorité du Magistère pour prononcer des sentences intouchables. Sinon, on en arriverait bientôt à prendre pour obligatoire de croire sur parole le moindre propos du concierge d’un cardinal romain.

Troisièmement, pour donner à la messe nouvelle autant de titres que la messe tridentine, et voiler son infériorité, on nous rappelle sans nuance les cardinaux romains (et parmi eux le cardinal Ratzinger) qui l’ont toujours célébrée à partir de 1970. C’est passer un peu vite sur le fait que ces cardinaux, par exemple Odi et Siri, ne l’ont fait qu’en exprimant des réserves importantes. L’un disait que la messe tridentine porte le célébrant, tandis que la messe nouvelle, c’est le célébrant qui doit la porter. L’autre trouvait la vérité catholique dans la messe nouvelle, mais à condition d’y creuser profond. Quant au cardinal Ratzinger, il écrivait notamment : « A la place de la liturgie fruit d’un développement continu, on a mis une liturgie fabriquée. On est sorti du processus vivant de croissance et de devenir pour entrer dans la fabrication. » Mais qui est donc ce « on » qui a voulu que le nouveau missel soit « promulgué pour être substitué à l’ancien » ? Question (dont la réponse est connue) posée simplement pour montrer que la critique de la nouvelle messe, de son auteur et des indications pastorales du Concile n’est pas interdite, contrairement à ce que l’on cherche maintenant à nous faire croire.

C’est là le point.

JEAN MADIRAN


Article extrait du n° 6445 de Présent, du Jeudi 18 octobre 2007
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