Le Huitième pilote, p.32
Dans sa dernière livraison quotidienne, Monsieur Crouan nous produit cet article :
FORME "ORDINAIRE": DE QUOI PARLE-T-ON?
Il y a quelque chose de burlesque dans la façon avec laquelle certains fidèles parlent aujourd'hui de la forme "ordinaire" du rite romain.
Nos évêques nous en parlent pour nous en dire grand bien. Mais où l'ont-ils vu être célébrée?
Des fidèles attachés de façon exclusive à la forme "extraordinaire" du rite (attachement qui, soit dit en passant est contraire à l'esprit et à la lettre du Motu proprio Summorum pontificum) en parlent pour la critiquer. Mais où l'ont-ils vu être célébrée?
Tous, qu'ils soient clercs mitrés ou simples laïcs, parlent d'une liturgie qu'ils n'ont jamais vu, car elle n'est jamais célébrée dans nos paroisses (sauf rare exception).
Car dans nos églises où l'on se dit fidèle aux orientations du Concile, ce n'est pas, contrairement à ce qu'on croit, la forme "ordinaire" du rite romain qui est célébrée, mais sa forme "déformée".
Les pratiquants se sont tellement adaptés aux célébrations dominicales inesthétiques et plus ou moins traficotées, que la liturgie que célèbre Benoît XVI leur semble venir d'une autre planète: il leur faut redécouvrir qu'un autel doit ressembler à un autel et non à une table, que le célébrant doit s'effacer devant le Mystère et ne pas se prendre pour le centre de la messe, qu'une chorale qui chante du grégorien est tout de même bien mieux qu'une animatrice qui piaille un refrain derrière son micro, qu'un un maître de cérémonie qualifié et discret vaut mieux qu'une équipe liturgique incompétente et envahissante, que les concélébrants qui gardent les mains jointes sont plus dignes que lorsqu'ils ont les bras ballants, que les vêtements liturgiques esthétiques correspondent mieux à la fonction ministérielle que des djellabas en tergal, qu'un célébrant qui ne dit et ne fait que ce qui est indiqué dans le missel permet mieux le recueillement que celui qui s'autorise à improviser ou à gloser la liturgie...
Bref, le fidèle à qui on a désappris la liturgie doit à présent redécouvrir des éléments qui sont constitutifs de toute célébration dans la mesure où ils permettent de donner à la forme "ordinaire" du rite romain son relief, sa beauté et sa force d'attirance.
En prêchant par l'exemple donné, le pape Benoît XVI a voulu nous montrer qu'à partir de la forme "ordinaire" de la liturgie romaine, il était tout à fait possible de composer - en fonction des lieux et des aides dont on dispose - des célébrations dignes, harmonieuses, porteuses de sacralité, et qui sont tout autant que la forme "extraordinaire" un reflet de la liturgie céleste. Ne pas vouloir voir cela, c'est ne pas comprendre qu'au cours de son voyage en France, le Saint-Père n'a pas seulement demandé qu'on donne toute sa place à la forme "extraordinaire" du rite romain, mais qu'il a aussi expliqué et montré ce que peut et doit être réellement la liturgie célébrée selon la forme "ordinaire".
Nos évêques suivront-ils son exemple? De la façon dont ils nous parlent de la forme "ordinaire" de la liturgie en se montrant très satisfaits de ce qui se fait dans les églises paroissiales ("chez nous il n'y a pas de problèmes..."), on peut sérieusement en douter et craindre pour la pratique dominicale.
Sur le fond, Monsieur Crouan n'a pas complètement tort. Le problème, c'est que précisément il n'est pas donné aux catholiques d'assister autrement qu'exceptionnellement à une Messe célébrée selon la forme ordinaire du rite romain de façon conforme aux normes liturgiques.
On notera d'ailleurs que le vibrant appel à témoignage que lançait Pro Liturgia à la suite du courrier d'un jeune prêtre (je cite M. Crouan : que les prêtres qui vont sur le site internet de notre Association et qui célèbrent aussi dignement que possible la messe en respectant le missel romain actuel (sans rien ajouter, retrancher ou modifier), veuillent bien se signaler. Merci d'avance.) ne semble pas avoir trouvé grand écho, à en croire l'absence totale de référence donnée sur le site de Pro Liturgia depuis lors.
Peut-on dès lors reprocher aux catholiques attachés à une digne liturgie de se tourner exclusivement vers la forme extraordinaire du rite romain ? Monsieur Crouan peut-il raisonnablement et durablement se moquer de ces catholiques qu'il se plaît à critiquer à longueur de pages ? Je ne le crois pas.
XA
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Le directeur de La Nef Christophe Geffroy, ardent défenseur de la liturgie traditionnelle, vient de publier (aux éditions du Cerf, mais oui) un important ouvrage de trois cents pages, Benoît XVI et « la paix liturgique », qui fourmille de précieux renseignements historiques, d’idées intéressantes, de vues d’avenir. Il connaît la question à fond, ce qui est très rare. Toutefois il trouve « détestable » (p. 279) le cas de l’Institut du Bon Pasteur (IBP), et cela appelle examen.
L’IBP, fondé en 2006 par les abbés Philippe Laguérie, Guillaume de Tanoüarn et Christophe Héry, a été érigé canoniquement par le Saint-Siège, le 8 septembre de la même année, comme société de vie apostolique de droit pontifical bénéficiant de « l’usage exclusif de la liturgie grégorienne » pour la messe et pour tous les sacrements. Cet usage exclusif « crée une ambiguïté détestable » aux yeux de Christophe Geffroy, ce ne peut être selon lui qu’une « exception » qui « ne pourrait avoir qu’un temps », car il lui semble que les prêtres qui ont retrouvé (ou conservé) l’usage de la liturgie tridentine « ne devraient pas avoir peur de l’autre forme [du rite romain], y compris en la célébrant s’il y a nécessité », par exemple « pour répondre au besoin de paroisses vides de prêtres depuis trop longtemps ».
Et puis, argument d’autorité, « Benoît XVI a explicitement demandé que les prêtres célébrant avec l’ancien missel ne refusent pas de célébrer avec le nouveau », cela étant, on le suppose, écrit par Christophe Geffroy (p. 282) au courant de la plume : en effet le Pape, qui sait fort bien ce qu’il écrit, a écrit en réalité qu’il ne faut pas exclure « par principe » la célébration selon les nouveaux livres. Or ceux qui « excluent » le nouveau rite ne le font point « par principe ».
Refuser la messe montinienne par principe, ce serait la refuser comme invalide ou comme hérétique ; ce serait, pour reprendre une expression du P. Bonino cité par Christophe Geffroy, faire valoir contre elle des « raisons dogmatiques absolument dirimantes ». Ce n’est pas le cas. Les traditionalistes, et en particulier ceux de la FSSPX, reconnaissent volontiers à la messe de Paul VI, en principe, sa validité et sa non-hétérodoxie. Ils refusent de la célébrer pour des motifs circonstanciels qui n’en sont pas moins impérieux.
Pratiquement, la messe de Paul VI, pour le public, mais aussi pour les évêques, se reconnaît en effet au retournement de l’autel et du célébrant, à la suppression des agenouillements, à la communion dans la main, aux embrassades générales commandées par un : « Donnez-vous la paix. » (etc.) Aucune de ces fantaisies ne figure dans les « éditions typiques » de la nouvelle messe. Mais les évêques y tiennent tellement que, pour la plupart, ils y président depuis une quarantaine d’années, leur donnant presque l’autorité d’une coutume établie. Si bien que l’« ambiguïté détestable » réside en réalité dans ce que l’on désigne et ce qui se fait comme étant la messe de Paul VI. En sens inverse, d’ailleurs, Benoît XVI modifie ce qui se faisait sous ce nom, même à Rome ; il procède là, selon la jolie (et juste) expression de l’abbé de Cacqueray, à « une catéchèse en images et par l’exemple ».
Autre motif qui lui non plus n’est pas « dogmatique » mais circonstanciel (et néanmoins impérieux) : dans beaucoup de diocèses encore, le clergé séculier, évêque en tête, ou évêque consentant, utilise la messe de Paul VI comme arme par destination contre la libre célébration de la messe ancienne. C’est moins que jamais le moment d’apporter à cette agression l’apparence d’une caution traditionnelle.
L’auteur de ce Benoît XVI et « la paix liturgique » semble parfois aux prises avec la tentation d’accorder un égal honneur à l’une et l’autre messe. La montinienne, même bien arrangée et pomponnée, ne pourra effacer son insolent caractère originel de messe hâtivement « fabriquée » dans les quelques saisons d’une rupture révolutionnaire avec la messe transmise, confirmée, complétée siècle après siècle par la foi de l’Eglise. Il n’est pas exclu par principe qu’il y ait des dévotions et des liturgies modernes. La primauté d’honneur ne peut cependant pas être enlevée à la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le missel romain.
JEAN MADIRAN
Article extrait du n° 6678 de Présent, du Samedi 20 septembre 2008
L’espace de vingt-quatre heures, la vie parisienne a changé de visage. On attendait – il semble que même les évêques attendaient – une mobilisation discrète, un succès d’estime, une attention au mieux curieuse pour ce pape intellectuel que les Français ne connaissaient pas encore. Ce fut un déferlement. Un enthousiasme débordant. La joie sur les visages et la reconnaissance dans les regards : Benoît XVI a parlé au cœur des innombrables jeunes et moins jeunes qui se sont pressés pour ne serait-ce que le voir passer ; il leur, il nous a parlé de la Foi, de l’Esprit, des racines chrétiennes de la France, du vrai sens de la liberté, de l’exacte dimension d’une vraie culture : la recherche de Dieu.
Et il commença très fort, avec cet humour fin et discret qui lui permet de retourner bien des situations, bien des difficultés. Lisez son discours à l’Elysée, où Sarkozy tint à le recevoir en compagnie de tout son gouvernement, tout en donnant des gages énormes, dans son discours, aux « autres religions », aux « traditions philosophiques » (comme si la religion catholique n’en avait pas !), et même, mais peut-être était-ce un lapsus, aux « frères musulmans ». Benoît XVI balaya tout ce relativisme sans en avoir l’air. Montrant que les racines chrétiennes de la France remontent aux tout premiers siècles, et que ce sont elles qui l’ont façonnée, il a donné une vraie réplique au discours présidentiel.
A sarkozy et aux évêques
A la « dignité de l’homme » célébrée par Sarkozy, il répondit « droits de l’homme » ; mais en affirmant ceci : « L’exercice de la présidence de l’Union européenne est l’occasion pour votre pays de témoigner de l’attachement de la France aux droits de l’homme et à leur promotion pour le bien de l’individu et de la société. Lorsque l’Européen verra et expérimentera personnellement que les droits inaliénables de la personne humaine, depuis sa conception jusqu‘à sa mort naturelle, ainsi que ceux relatifs à son éducation libre, à sa vie familiale, à son travail, sans oublier naturellement ses droits religieux, lorsque donc cet Européen saisira que ces droits, qui constituent un tout indissociable, sont promus et respectés, alors il comprendra pleinement la grandeur de la construction de l’Union et en deviendra un artisan actif. »
Respect de la vie, de la liberté de l’enseignement, du travail, de la famille ? Voilà des « droits de l’homme » comme on les connaît peu. Il n’y manquait que la patrie : « A cet égard, il est important de promouvoir une unité qui ne peut pas et ne veut pas être une uniformité, mais qui est capable de garantir le respect des différences nationales et des diverses traditions culturelles qui constituent une richesse dans la symphonie européenne », affirma Benoît XVI qui le dimanche, à Lourdes, allait lancer semblable rappel devant les évêques français rassemblés : « Je suis convaincu (…) que les Nations ne doivent jamais accepter de voir disparaître ce qui fait leur identité propre. Dans une famille, les différents membres ont beau avoir le même père et la même mère, ils ne sont pas des individus indifférenciés, mais bien des personnes avec leur propre singularité. Il en va de même pour les pays, qui doivent veiller à préserver et à développer leur culture propre, sans jamais la laisser absorber par d’autres ou se noyer dans une terne uniformité. »
Ce fut un même vibrant appel à la redécouverte de racines vivifiantes, seules capables de donner et de conserver la vie de l’ensemble, que Benoît XVI lança lors de son grand discours sur la culture, au Collège des Bernardins. Le Logos, la Parole, la grammaire, la musique et le chant des moines tout tendus vers Dieu qui ont ainsi obtenu, crus-je entendre, ce surcroît promis à ceux qui se tournent sans retour vers Celui qui est. Le discours des Bernardins est une réponse au relativisme et à la fausse liberté qui, en refusant tout lien, n’est plus qu’« arbitraire » et tyrannie. Il est aussi une cinglante réplique – mais dite avec combien de douceur et de respect – à ceux qui s’appuient sur la lettre au lieu de chercher l’Esprit avec l’aide de la raison. Benoît XVI venait de rencontrer les représentants de l’islam. Il osa tranquillement dénoncer le « fanatisme fondamentaliste » qui menace ceux qui cherchent la « Parole de Dieu (…) dans la seule littéralité du texte ». Oui, le discours des Bernardins est la suite et le développement du discours de Ratisbonne ; un discours qui indique la complémentarité nécessaire du Ora et labora de saint Benoît comme la source de l’originalité européenne, fruit d’une « culture du travail » couplée avec la « culture de la parole ».
Les doux à Paris
Retransmis sur des écrans géants le long de la Seine, où une foule joyeuse patientait pour voir passer la papamobile, le discours ne fut peut-être pas saisi par tous. Dans l’étroite rue de Poissy que Benoît XVI devait emprunter pour descendre vers Notre-Dame, la situation vira même au cocasse. L’accès en était réservé aux Orphelins apprentis d’Auteuil, artisans de l’estrade où serait célébrée, le lendemain, la messe aux Invalides. Ils voulaient accueillir le passage du Pape avec toute la chaleur dont ils étaient capables. Benoît XVI venait de dire la beauté du chant des moines, de cette Liturgie qui est « une invitation à chanter avec les anges », qui a su trouver une musique digne de Dieu. A côté de moi, un jeune Noir sortit son tam-tam. Les animateurs de toutes ethnies l’entourèrent. Au rythme africain s’ajouta la répétition lancinante de mélodies primitives ; la papamobile s’approcha au son strident des you-yous. Contraste saisissant !
Mais plus tard, au soleil couchant doré de septembre, sur les quais offerts pour un soir aux catholiques, il y eut d’autres scènes, bien plus étonnantes. Des groupes de centaines de personnes restaient au pied des grands écrans pour suivre, recueillis et sereins, le chant des vêpres présidées par le Pape à Notre-Dame. Et ainsi retentirent des psaumes, et le Magnificat, et le Te Deum. Ce vendredi soir, les cloches de Saint-Nicolas-du-Chardonnet tout proche avaient sonné à toute volée pour accueillir le Saint-Père. Et une nouvelle fois (comme l’écrivait Alain Sanders lors des JMJ de 1997), « les doux avaient envahi Paris ».
Vous dirai-je la foule qui se pressait à Saint-François-Xavier, dans le 7e arrondissement, ce soir-là ? Le bâtiment, considérable, se révéla trop exigu pour accueillir ceux qui voulaient veiller « dans la Tradition » en attendant le rendez-vous des Invalides. Ils étaient, dit-on, 2 000. Sans compter les responsables des différentes communautés traditionnelles qui, de Dom Louis-Marie du Barroux au Père Alain de Riaumont, en passant par le supérieur de la Fraternité Saint-Pierre ou les nombreux prêtres de l’Institut du Christ-Roi, vinrent guider les prières. Et les chants : avec un « Parle, commande, règne » qui fit vibrer toute l’église…
Lever de bonne heure pour la messe du samedi matin. Le service de presse mis en place par les évêques de France avait rassuré les journalistes : l’accès à l’Esplanade des Invalides serait libre pour tous, la circulation facilitée pour permettre à ceux qui circuleraient là par hasard d’assister à un bout de cérémonie… En fait, dès 8 heures, tous les accès de la place étaient déjà interdits. Une marée humaine en occupait les moindres recoins : aux 60 000 jeunes qui s’y étaient rassemblés dès la veille après avoir processionné depuis Notre-Dame, s’ajoutaient bien quelque 250 000 personnes de tous âges venues démentir l’idée selon laquelle Benoît XVI, mal connu et peu charismatique, n’allait pas remuer les foules.
Une foule : mais pas au sens psychologique du mot. Une telle qualité de recueillement dans un tel rassemblement, je n’en avais jamais vu. Un tel silence pendant la longue et magnifique homélie du Saint-Père, c’était aussi inattendu qu’impressionnant. Des hommes et des femmes à genoux sur le bitume de la place pendant la consécration : étais-je vraiment dans le carré des élus invités à la cérémonie, où mon badge de journaliste m’avait fait atterrir ? Des jeunes volontaires à genoux pour communier le long des barrières : l’exemple du Saint-Père distribuant le Saint Corps du Christ sur les lèvres aux fidèles agenouillés sur un prie-Dieu avait-il déjà et heureusement déteint ? Ils avaient entendu l’appel du Pape, pendant son homélie, à mieux vénérer le Saint-Sacrement : « Ne négligeons rien pour lui manifester notre respect et notre amour ! Donnons-lui les plus grandes marques d’honneur ! »
Est-ce la jeunesse qui change ? Comme ces jeunes prêtres d’une génération nouvelle, grâce à qui pas moins d’un cinquième des prêtres passés par la sacristie mise en place dans les Invalides portaient soutane.
Et comment dire toute la profondeur des paroles du Pape que la magie d’Internet met aujourd’hui à la portée de chacun. A l’heure d’écrire, en ce petit matin du lundi, ce sont déjà 30 grande pages de texte serré et dense qui s’entassent devant moi, sur tous les sujets brûlants de ce temps. Quel cadeau à la France, Très Saint-Père, quel trésor à relire déjà, pour fortifier la Foi, l’Espérance, et la Charité !
JEANNE SMITS
Article extrait du n° 6674 de Présent du Mardi 16 septembre 2008
Au cours de l’interview où il déclare « parler en tant que président de la Conférence des évêques » (c’est donc une déclaration officielle), interrogé sur Benoît XVI et le motu proprio du 07.07.07 « qui n’a pas été digéré en France », le cardinal Vingt-Trois a notamment répondu :
« Le signe le plus explicite sur le sujet va être le fait de concélébrer avec les évêques de France, en communion dans une même liturgie. »
Une concélébration avec le Souverain Pontife n’est pas un problème, ni une nouveauté montinienne : elle est traditionnelle. La nouveauté est d’attendre du Pape qu’il soit en communion avec les évêques.
Normalement, le Pape ne vient pas concélébrer avec les évêques, ce sont les évêques qui vont concélébrer avec le Pape.
L’Eglise nous a élevés et instruits dans un profond respect pour « les évêques en communion avec le Pape ». Nous nous y appliquons volontiers. Mais cela ne peut fonctionner à l’envers. Ce n’est point le Pape qui aurait obligation d‘être en communion avec les évêques. Aucune invention collégialiste artificiellement fagotée ne changera rien à cette réalité surnaturelle.
Nous aimons supposer que, de la part du président de la Conférence épiscopale, il s’agit simplement d’une sorte de lapsus ou d‘étourderie, et non pas d’une exigence ou d’un ultimatum. Toutefois on trouvera étrange que le président Vingt-Trois estime pouvoir fixer d’avance quel sera « le signe le plus explicite » que devrait nous apporter Benoît XVI.
Ne sous-estimons pas cependant les obstacles difficilement surmontables que le cardinal Vingt-Trois rencontre dans l’exercice de sa présidence et qui expliquent l’incertitude, l’embarras, l’approximation de ses propos. Sur les plus graves réalités de la foi, il n’y a pas, dans l‘épiscopat français, l’unité que la Conférence épiscopale voudrait (et devrait) représenter.
Je reviens à l’instant d’un diocèse (je ne le nommerai pas, car il n’est malheureusement pas le seul), – un diocèse où, au nom de l’Eglise catholique et de l‘évêque du lieu explicitement invoqués, on enseigne par voie écrite que les trois « temps forts » de la messe sont : « un enseignement, une méditation personnelle, un partage ». La messe serait donc une opération principalement subjective, centrée sur le culte de l’homme. Autrement dit, il s’agit toujours d’affirmer, sous une forme moins directement provocante, qu‘à la messe « il s’agit seulement de faire mémoire », selon la doctrine du « nouveau missel des dimanches » de l‘épiscopat en 1970 et en 1973. Il semble que l’on ait discrètement retiré cette formule, mais elle n’a jamais été rétractée. Elle correspond d’ailleurs au fameux article 7, première version, de la préface à la messe de Paul VI. Il y eut quelques évêques diocésains qui n‘étaient pas d’accord. Ils ne l’ont jamais dit en public. Et c’est pour cela qu’une grande partie du clergé continue à croire depuis une quarantaine d’années que la messe n’est pas un vrai sacrifice. Nous y reviendrons.
L’unité épiscopale est un faux-semblant quand elle n’est pas fondée sur une communion dans la vérité. La Bible Bayard, où l’on trouve l’affirmation mais aussi la négation de la divinité du Christ et de l’authenticité du témoignage évangélique, a paru avec l’approbation explicite de la Commission doctrinale du Conseil permanent de la Conférence épiscopale. Il s’est trouvé deux évêques français, pas trois, pour mettre en garde le clergé et les fidèles en disant publiquement : « Cette Bible n’est pas celle de l’Eglise, ce n’est pas une Bible chrétienne ! » Elle a néanmoins été diffusée dans l’univers francophone à des centaines de milliers d’exemplaires. L‘épiscopat n’a pas rétracté son approbation. Mais si l’on voit là quelque unité épiscopale, alors c’est dans le mensonge.
« En communion », dit le Président. Ce ne peut tout de même pas être en communion avec cette morale sans obligation ni sanction qu’enseigne l’archevêque de Rennes : « L’Eglise, claironne-t-il cette année, n’interdit rien à personne. » Ce ne peut être en communion avec la Bible Bayard, ni avec la catéchèse sans catéchisme de la plupart des diocèses français, ni avec une « eucharistie » qui ne veut plus être le saint sacrifice de la messe. Il n’y a pas de communion possible avec la coexistence artificielle du oui et du non. Dans cette situation spirituellement crucifiante, nous nous préparons à être attentifs à ce que le Pape vient nous apporter. Sans prétendre lui indiquer nous-même « le signe le plus explicite » que nous espérons de lui. De toute façon, il sera sans doute le plus inattendu.
JEAN MADIRAN
Article extrait du n° 6673 de Présent, du Samedi 13 septembre 2008
On sait combien Jean Madiran a toujours été, dès Itinéraires bien sûr, mais plus encore avec Présent, quotidien singulièrement atypique dans un monde médiatique à la dérive, attentif aux aléas de la chose imprimée. Une interrogation essentielle pour ceux qui sont attachés à la liberté de la presse mais qui, souvent, passe par-dessus la tête du gros des lecteurs qui n’aiment guère qu’on leur parle « boutique ». En résumé : « Faites un journal et épargnez-nous les détails de l’arrière-cuisine… »
Pour étayer et actualiser sa réflexion, Jean Madiran part d’une interview de Jean-François Kahn en janvier 2008 : « Si nous étions dans une [vraie] économie de marché, il n’y aurait plus de quotidiens. » Et, de fait, il n’en reste guère si on veut bien se souvenir que le Répertoire général de la presse française de 1938 – il y a soixante-dix ans – recensait 25 quotidiens à diffusion nationale. Avec des diffusions de rêve : 2 millions d’exemplaires pour Paris-Soir, 1 600 000 pour Le Petit Parisien, 900 000 pour Le Journal… Quelle peau de chagrin depuis !
Précisons qu’il y eut naguère, à Paris, plusieurs dizaines de quotidiens dits « d’opinion ». Il ne reste plus que Présent, l’Humanité et la Croix (« Et ces deux-là tendent à être aussi, ou du moins à paraître, des journaux d‘“information” parce qu’ils sont eux-mêmes avides d’une publicité qui ne leur vient que parcimonieusement », écrit Jean Madiran).
« Publicité » : tout est dit. Et Jean Madiran consacre au sujet (« La publicité dans la presse ») un chapitre qui rappelle que, dans le jargon publicitaire en usage, les journaux ne sont pas désignés par les annonceurs comme des journaux mais comme des « supports publicitaires ».
Faire comprendre au public pourquoi la presse riche est serve et la presse libre pauvre. Tout est là. Lisez et faites lire ce vade mecum. Et vous en aimerez mieux Présent.
(Extraits de l’article d’Alain Sanders paru dans Présent du 22 août 2008.)
Article extrait du n° 6673 de Présent, du Samedi 13 septembre 2008
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— L'Accord de Metz - 15 €
— Les Vingt-cinq ans de Présent - 15 €
— Histoire de la messe interdite - 17 €
— La Trahison des commissaires - 15 €
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